Nationalisme libérateur, nationalisme dominateur ou juste nationalisme?

             Depuis quelques temps, on assiste à un regain d’attraction pour les groupes populistes et leurs idéologies nationalistes. Ce phénomène qui a pris une certaine ampleur au cours des dix dernières années, nous appelle à réfléchir d’abord sur ce qu’est le nationalisme, ces causes et ses origines. Mais avant cet exercice, il faut noter que ce mot renferme une certaine ambivalence qui tient du fait qu’il peut être soit le déclencheur d’un phénomène aboutissant à la liberté d’un peuple comme il peut aboutir à l’avilissement et  à la domination d’un peuple. À priori donc on ne peut condamner une personne qui se réclame d’un parti ou d’un regroupement nationaliste.

     Le mot a une racine latine « natio » qui se réfère à la nation. La nation est donc perçue comme un  regroupement de personnes qui sont conscientes de leur unité par une identité historique, culturelle, linguistique et religieuse. Larousse (2009) définie la nation comme un «  ensemble des êtres humains vivant dans un même territoire, ayant une communauté d’origine, d’histoire, de culture, de traditions, parfois de langue, et constituant une communauté politique.
juridiquement, c’est une entité abstraite, collective et indivisible, distincte des individus qui la composent et titulaire de la souveraineté.» Le nationalisme est donc cette doctrine qui accorde une primauté à la nation par rapport aux individus qui la forme. Les aspirations nationales ont donc une prééminence sur les aspirations individuelles. Jacques Grand’ Maison dans nationalisme et religion tome I librairie Beauchemin 1970 page13, donne une idée précise de ce qu’est le nationalisme «Au premier abord, le nationalisme apparait comme une idéologie totalisante, continue dans le temps, dans la conscience, dans l’espace humain d’un groupe donné. Ce serait un phénomène à la fois naturel et historique, universel et particulier, culturel et politique  ». Il est donc juridiquement établi  et ce depuis la révolution française que seul le peuple et donc nation est souveraine et que la souveraineté que clame l’état ne lui en fait déléguée que par la nation. La nation parait donc comme un ensemble de citoyen détenteur de la puissance politique représentée par l’état. Nous devons par soucis de lever toute ambigüité  évoquer le fait que la nation n’est pas seulement un ensemble de citoyens vivant sur un territoire donné. En effet, une nation peut exister sans territoire. L’exemple le plus frappant est la nation kurde une communauté de 30 millions de personnes répartie sur l’Irak, l’Iran et la Turquie. Cette nation n’ayant pas de territoire, elle n’a pas d’état, par conséquent pas de représentant politique. Même si on peut parler de représentants de la nation Kurde, ils n’ont pas le statut internationalement connu d’une représentation nationale. Si une nation peut être repartie sur plusieurs territoires, il arrive qu’au sein d’un même territoire, un groupe de personne qui se sentent liées par des valeurs nationales fortes au point de créer une nouvelle nation  dans l’état-nation. Le cas du nationalisme québécois dans le Canada, ou du nationalisme basque en Espagne est à cet égard révélateur. A propos du nationalisme québécois, jacques Grand’ Maison affirmait dans son livre Nationalisme et religion tome I nationalisme et révolution culturelle   librairie Beauchemin limitée 1970 page 9  que « tout homme, quel qu’il soit cherche à se situer et à s’identifier non seulement dans son milieu immédiat, mais dans l’ensemble du monde et de l’histoire tels qu’il les perçoit dans sa propre actualité ». Le nationalisme se présente tantôt comme libérateur d’un peuple  tantôt comme une aspiration de domination sur un autre peuple. Qu’il soit dominateur ou libérateur il démontre clairement la conscience d’un groupe sociale du fait de leur différence par rapport aux autres.

         Le nationalisme libérateur est cette conception qui prône une libération de la nation face à un envahisseur. C’est la manifestation de aspiration d’un peuple soumis à un colonialisme et qui cherche à se soustraire de l’emprise politique sociale et culturelle à la quelle il est soumis. Ce nationalisme pour rassembler le maximum de citoyen à sa cause se base sur une histoire commune, faite de joies et de peines, sur la valeur et la bravoure des ancêtres communs. Ce type de nationalisme n’a qu’un adversaire : le colon. Juste après la deuxième guerre mondiale on a assisté à un réveil de conscience dans les pays colonisés avec la formation de mouvement nationaliste, on pourrait citer entre autres les cas du CPP au Ghana avec kwame Nkurmah,  du RDA de la Guinée de Sekou touré,  du PAIGC au Cap-Vert avec Amil Cabral etc. Ces mouvements vont développer un sentiment nationaliste africain et susciter du ressentissent à l’égard des occupants ce qui débouchera aux indépendances dans les années 60.

       Le nationalisme libérateur peut être pacifique, violente ou démocratique. En effet, comme on le voit au Québec le nationalisme libérateur utilise des moyens démocratiques à sa possession pour réclamer sa spécificité et ainsi son Independence. Le cas du Québec est à cet égard très intéressant puisqu’on assiste dès la création de cette colonie à une évolution du sentiment national. Du nationalisme libéral en 1783 on est rendu au nationalisme républicain vers 1830 avec l’acceptation par les patriotes des concepts de la révolution américaine. L’influence alors grandissante du haut Canada avec leur penchant pour la monarchie britannique et l’envahissement de l’anglais à la suite du Canada-uni en 1841 place le Bas-Canada  majoritairement franco-catholique dans une situation de minorité. L’affirmation nationaliste prend alors un virage avec le clergé. On affiche sa différence  catholique face aux protestants du reste du Canada, la langue et la religion deviennent les pierres angulaires sur les quelles se basent toutes revendication nationalistes. L’ingérence du catholicisme dans la sphère politique a alors pris de l’ampleur au point de contrôler toute la vie politique. Le nationalisme catholique devient peu à peu un fardeau et s’écarte de l’aspiration de liberté même si elle démontre la différence et la singularité du peuple québécois dans le Canada. . Jacques Grand’ Maison dans nationalisme et religion tome I librairie Beauchemin 1970 page 14 « L’idéologie catholique, la plus déterminante de toutes nos idéologies, a suscité des compromis douteux, des allégeances parfois bien superficielles et bien des luttes internes. Elle a eu un caractère plus unitaire que notre nationalisme » La révolution tranquille des années 1960 était en fait venue corriger ce tir. Du nationalisme clérical, on aboutit au nationalisme contemporain avec la séparation du religieux et de la politique. On note aussi l’Exportation et l’affirmation de la culture québécoise, de même que l’adoption du nom de québécois au lieu du canadien français. Ce qui est intéressant dans l’évolution du nationalisme ici c’est son caractère démocratique. Face au Canada anglais, la lutte nationale se fait avec des moyens démocratiques. Les référendums ont été lancés afin de concrétiser la séparation du Québec du reste du Canada en même que des batailles juridiques, dont la décision de la cour suprême de 1982 reconnaissant le Québec comme une société distincte. On pourrait aussi dans cet ordre d’idée parler de la proclamation de la nation québécoise par l’assemblé canadienne en 2008 et la reconnaissance de cette nation par l’Australie, la Nouvelle Zélande, l’inde, le royaume uni.

        Le nationalisme libérateur peut utiliser des moyens pacifiques pour s’affirmer. On parle ici de luttes par des moyens tels que la désobéissance civile et la résistance pacifique. L’Inde et dans une certaine mesure les noirs au États-Unis ont utilisé cette méthode pour souligner leur identité et réclamer leur liberté. Gandhi teste pour la première fois sa théorie de non violence en Afrique du sud ou il appelle ses compatriotes à défier la nouvelle loi demandant  l’enregistrement des indiens dans une Afrique du sud rongée par l’apartheid. Il étale ainsi sa théorie non violente  le sayagraha (attachement à la vérité) ou protestation non violente, en appelant ses compagnons indiens à défier la nouvelle loi et à subir les punitions qui en résulteraient au lieu de résister par la violence. Revenu en inde, il prône la même tactique qui consiste a réclamer l’indépendance par des actions non violentes sur un fond de boycotte de tout produits ou denrées venant de l’oppresseur. Comparé au nationalisme libérateur du type démocratique (cas du Québec), celui de Gandhi voit dans les institutions démocratiques une émanation de l’oppresseur, et les boycotte. L’acceptation de ses valeurs et de sa différence face à l’autre  n’est possible que par la rupture avec les valeurs de l’autre. On se refuse d’altérer sa culture face à l’autre, on refuse tout ce qui émane du colonisateur mais le tout sur un fond de non violence. Remarquons que la lutte est plus économique que culturelle dans ce cas. Refuser l’assimilation ne porte pas directement atteinte à l’idéologie du colonisateur, mais refuser d’acheter ses produits, refuser de participer à des travaux forcés dont les fruit lui bénéficie directement, refuser de participer pour son profit, à la collecte des matières premières, sont des actes qui ont un impact direct sur l’économie du dominant.

           Si le nationalisme libérateur peut avoir une face pacifique ou démocratique, il existe une autre forme qui est très violente, c’est la libération du joug du colonisateur par la force. Le cas du Kenya est révélateur de cette lutte.  Placé sous protectorat britannique en 1895, le Kenya devient une colonie de la Couronne en 1920. A la fin de la première guerre mondiale, 6 000 Européens qui représentent environ 1 % de la population monopolisent 25 % des sols cultivables, dont la majeure partie des hautes terres fertiles. Ils exploitent l’abondante main-d’œuvre noire, notamment des Kikuyus et Luos. Les kenyans sont aussi exclus de la vie politique ce qui pousse Jomo Kenyatta, figure emblématique de la lutte pour les droits des Africains, à créer la Kenyan African Union. La KAU demande l’accès aux terres pour les Noirs. Parallèlement au KAU, se crée un mouvement qui puise ses racines dans l’Afrique profond. Le mouvement Mau-Mau, dominé par les Kikuyus, mène une série d’actions violentes, aboutissant à l’instauration de l’Etat d’urgence. La répression, particulièrement brutale, s’accompagne d’emprisonnements, de torture et de meurtres. Le bilan « officiel » du côté Mau-Mau est de 7 811 morts et de 80 000 à 100 000 internés. Mais, malgré l’écrasement de la révolte, les colons blancs doivent accepter le droit de propriété des Kenyans en 1959. Ce qui est important à noter dans ce cas c’est que les Mau-Mau constituaient une sorte de société secrète traditionaliste et mystique avec des rites ancestraux. La force de se mouvement résidaient en deux choses, la première est évidement la frustration engendrée par les atrocités coloniaux et la deuxième vient du replis  sur certaines valeurs incompréhensibles aux blancs. Il y avait non seulement un rite de serment pour renforcer la communauté des frères combattants mais aussi un rite d’invincibilité qui les place directement sous la protection des ancêtres et des génies invisibles au cours de leurs activités clandestines. En définitif c’est en luttant avec des moyens dérisoires mais avec grande conviction que les Mau-Mau ont provoqué les négociations devant aboutir à l’indépendance du Kenya.

           Le nationalisme n’est pas que libérateur, il est aussi dominateur. Ici une différence est à faire tout au départ ; nous ne somme plus dans la logique d’un colonisateur qui tente assimiler un autre peuple. Le nationalisme dominateur est celle de l’oppresseur c’est le moteur de la colonisation ou encore de l’exclusion des autres. Alors que  le nationalisme libérateur parait comme l’arme du faible face au puissant du jour, le nationalisme dominateur est le canon du puissant dans sa conquête du plus faible. Ce nationalisme a une idéologie simple, la reconnaissance de soi comme différent des autres et le développement des théories pour soutenir cette différence. Son idéologie basée sur une histoire glorieuse lointaine montre sa suprématie. La fabrication d’un destin commun (souffrance commune et gloire commune) vient cristalliser le désir de se sentir particulier dans un monde où la nation en question se doit de répéter la gloire passée. L’idéologie nationaliste dominatrice a donc deux rôles. Sur le plan extérieur, regrouper d’une part les autres qui comme nous ont les mêmes valeurs, les mêmes ancêtres, la même histoire  mais qui ne sont pas  sur le territoire national donc créer une nation plus grande et plus forte. D’autre part c’est un devoir de dominer le monde, et conquérir des terres pour sa population mais aussi éduquer  et assimiler les autres peuples par humanisme. Sur le plan intérieur, ce type de nationalisme pousse à se débarrasser de ceux qui ne sont pas de la race nationale afin d’éviter tout métissage ou toute corruption de la race ou de la culture nationale. Cette double finalité du nationalisme est ce que dit Ulrich Beck  dans son ouvrage qu’est ce que le cosmopolitisme ? édition Flammarion page 114 : « on sait bien que le double visage du nationalisme ne consiste pas seulement à utiliser l’opposition entre nous et les barbares pour fonder l’égalité et l’intégration nationales : il transparait également dans le rapport- comme on le dit dans l’optique nationale – de la « majorité » aux « minorités » « .

       Ce type de nationalisme est celui de l’Allemagne nazi. En effet, l’idéologie nazi a dénaturé la notion de race allant jusqu’à corrompre le mot aryen qui dans sa racine sanscrit (inde du nord) signifiait « père de famille ». Aryen dans l’idéologie nazi devient synonyme de noble, et ainsi on s’invente une nouvelle race, la race aryenne. Cette race se caractérise par les yeux bleus les cheveux blonds, une grande taille, bref la meilleure race sur terre, la plus force, la plus belle, la plus intelligente. De la race on aboutit à la langue aryenne, en forçant l’histoire pour faire de la langue germanique, une émanation de la langue sanskrit. Le problème avec cette théorie est qu’elle comportait deux failles : le peuple sanskrit n’était pas composé de blonds au yeux bleus et ce peuple n’a jamais vécu en Europe mais en Asie. Ce problème comme on pouvait s’y attendre a été vite résolu d’abord par Joseph de Gobineau dans son ouvrage « essaie sur l’inégalité des races humaines » dans lequel Il démontrait que les Aryens avaient originellement constitué une race pure, blanche, blonde aux yeux bleus. C’est la science qui par sa puissance vient fournir des explications ou des vérités à l’entreprise de domination nazie. Cette vérité scientifique au service d’une idéologique est ce que soulève Hannah Arendt dans son ouvrage Condition de l’homme moderne Edition Calmann Levy 1983 page 364  quand elle écrit que « vérité scientifique et vérité philosophique se sont quittées ; la vérité scientifique n’a pas besoin d’être éternelle, elle n’a même pas besoin d’être compréhensible, ni de convenir à la raison humaine. » Il est donc évident que le nationalisme dominateur ne lésine sur aucun moyen pour atteindre son but et il est principalement idéologique.  L’idéologie n’est pas une vérité et ne devrait pas servir de base à une action politique. , Hannah Arendt donne une définition très juste de  l’idéologie  dans son ouvrage Les origines du totalitarisme, édition du Seuil 1973 (page 296) « une idéologie est littéralement ce que son nom indique : elle est la logique d’une idée : son objet est l’histoire,… Les idéologies ne s’intéressent jamais au miracle de l’être. Elles sont historiques, concernées par le devenir et le disparaitre, l’ascension et la chute des cultures, même si elles essaient d’expliquer l’histoire par quelque loi naturelle.(…) L’idée d’une idéologie n’est ni l’essence éternelle de Platon, saisie par les yeux de l’esprit ni le principe régulateur de la raison de Kant : elle est devenue un instrument d’explication« .

Il faut donc voir qu’il existe deux sortes de nationalisme l’un louable permettant l’émancipation d’un peuple et l’autre dominateur permettant l’assujettissement d’un autre peuple. Les deux procèdent de la même manière sauf que but est différent. L’un se donne pour but la liberté l’autre la colonisation. Cependant on retrouve dans les deux cas une prise de conscience collective de sa situation. Qu’elle soit privilégiée ou soit opprimée la nation entière vit un moment de conscience face à son propre situation qui peut être un désir de conquête ou une révolte. Cette prise de conscience met en branle une série de solutions parmi lesquelles, acceptation qu’il existe une différence entre nous et l’autre, que notre culture n’est pas celle de l’autre et par extension, nous sommes meilleurs que les autres. L’acceptation de cette différence n’apporte rien s’il n’y a aucune idéologie pour soutenir cet argument. Les idéologies seront donc basées sur la résistance ou sur la conquête selon que nous sommes en présence de l’un ou l’autre nationalisme. A partir de la c’est la louange de sa culture, et l’avilissement de l’autre qui devient le point de départ de tout action. La dernière phase de ce processus est donc la recherche de moyens pour concrétiser sa suprématie sur l’autre. Ces moyens sont généralement la guerre de conquête, ou la résistance violente selon que l’on se situe dans l’optique de domination ou libération. Mais comme nous l’avons vu dans le cas de l’inde cette reconquête de la dignité peut être non violente chose assez rare. Le modèle de revendication québécois est celui qui prend plus de temps pour se concrétiser mais qui respecte plus la vie humaine. Il s’étend dans la durée et des fois même se transforme en action violente pour la simple raison que les moyens démocratiques bases de la revendication sont l’œuvre de l’oppresseur. C’est l’oppresseur qui établit les règles  et le mode d’action de toute réclamation de la souveraineté.

          Aujourd’hui, on assiste à l’émergence du nationalisme de domination à l’intérieur des états européens. Dans tous les pays européens on assiste à un retour du nationalisme qu’on croyait disparue. Le Sverigedemokraterna,  parti d’extrême droite suédois entre au parlement avec 20 sièges (septembre 2010). La ligue du nord en Italie, fait partie de l’actuelle coalition au pouvoir avec trois ministères dont celui de l’intérieur. Le Vlaams Nationaal Verbond  partie nationaliste, xénophobe et séparatiste flamand en Belgique veut une séparation; en France, le Front National est en passe de devenir un acteur politique important. Le LAOS (Alerte populaire orthodoxe) devient le quatrième parti d’importance en Grèce et le FPÖ mouvement populiste autrichien fait partie du pouvoir avec le parti conservateur ÖVP. Le SCHILL parti populiste a obtenu 23% des votes régionaux à Hambourg. Ces situations amènent certainement à une réflexion quand on sait que plus de la moitié de ces partis sont relativement jeunes et ont moins de 10ans d’activités.

          Cette montée du nationalisme s’explique par trois raisons essentielles. La première est un reproche fait à l’Union européenne qui défend la libre circulation des citoyens européens, la liberté de religion et les bienfaits de la mondialisation. Le multiculturalisme, et l’islam en particulier sont souvent la cible privilégiée de ces mouvements nationalistes puisqu’ils font partie des valeurs de tolérance que propose l’Europe.   Et l’Union a peu de moyens de se défendre face à ceux qui mettent en cause ses valeurs puisqu’elle prône elle-même la liberté d’opinion. Cette ouverture sur le monde de l’union européenne fait qu’elle accepte toutes les critiques de ces groupuscules nationaux aux risques de se contredire sur une des bases de son fondement qui est la diversité d’opinion. La deuxième est l’incapacité de la majorité des pays européens à s’adapter à la mondialisation. En effet, le monde est devenu plus global et axé à la performance individuelle, d’où la nécessité de mondialiser les économies nationales pour les rendre plus compétitives. La conséquence directe en cas d’échec dans cette compétition à l’échelle planétaire  est la destruction des économies locales ou nationales. L’inefficacité économique entretient la pauvreté qui en retour permet une remise en cause des systèmes de protection sociale. Dans cette logique économique, La montée du chômage dans les couches de population les moins qualifiées est inévitable et causera l’affaiblissement des institutions qui assurent un minimum de cohésion sociale. La population méfiante, se retranche derrière ses frontières, d’où l’émergence d’un sentiment  nationaliste. On veut donc revenir à la source pour éviter l’envahissement d’un certain Europe trop large, sans vision, et source de tous les maux de la société. Ce retour à la source nationale prend naissance dans la conception féerique d’une situation qui était meilleure, et que pour revenir à cette situation, il faut de nouveau battre sa propre monnaie, retrouver sa pleine souveraineté. Conception féerique et souvent irréfléchie ; puisque ces propositions ne sont pas des solutions ni rationnelles, ni viables, face à la globalisation. Le nationalisme dans ce premier cas est un nationalisme pour sortir du monde ; pour se singulariser face à une Europe menaçante qui est responsable de la misère collective. C’est le cas des petits pays qui ont du tout sacrifier pour entrer dans l’Europe. L’Estonie, la Lituanie, la Croatie, la Pologne, la Bulgarie etc.

                  La troisième explication aussi est d’ordre économique mais au lieu d’être un nationalisme pour sortir du monde,  c’est un nationalisme qui veut livrer bataille au monde. Il y a en effet certains les pays qui s’adaptent bien à la mondialisation avec la maîtrise et le développement des nouvelles technologies, les découvertes dans le domaine de la recherche, l’acceptation de la mobilité professionnelle ; ils perçoivent la mondialisation comme une chance et non comme une menace. Ces pays dits pays émergents arrivent à construire une société dans le monde globalisant d’aujourd’hui. Mais la réussite de ces sociétés s’acquière au prix de sacrifices énormes. On peut citer la Grèce et l’Irlande qui ont dû faire face à des licenciements massifs mais aussi avec une baisse de 12% sur les salaires, en même temps qu’une hausse d’impôt. L’acceptation de la précarité sociale, de la privatisation du service public, à commencer par la santé et l’éducation sont autant de sacrifices qui minent le succès et engendre un sursaut nationaliste. N’est-ce pas la fierté nationale et le culte de sa propre puissance, qui donnent aux anglais, aux allemands comme français, le désir d’avancer, en dépit de conditions sociales parfois douloureuses? Dans tous les cas, et dans cette catégorie on note un mécontentement de la majorité  de la population qui doute du progrès et demande le retour à des valeurs plus simple telles que la répartition équitable des services et des profits jugés nationales. L’idée principale ici n’est pas de diaboliser la globalisation mais de demander une meilleure répartition. Le sentiment nationaliste devient plus fort si dans cet esprit de compétition les immigrants réussissent dans ladite société. Ils deviennent alors des cibles privilégiées, victimes de leurs succès dans une société qui se mondialise.

             Ce n’est donc pas une surprise si la remarque est faite que c’est dans les pays européens où la situation économique est instable que l’on assiste à une véritable renaissance du nationalisme. On peut citer comme exemple la montée du parti populiste Ataka en Bulgarie, et en Roumanie, le parti de la grande Roumanie qui continue à avoir le vent en poupe. Mais comment contrer cette montée des partis nationalistes ? Il semble que l’absence de stratégie commune semble profiter à ces partis et pire encore les partis traditionnels modérés s’en servent pour soit conserver et consolider leur électorat en leur montrant le danger que représentent ces partis populistes et refusent tout association avec ses partis. C’est la décision de la CDU/ CSU en Allemagne qui refuse tout compromis avec  la NDP parti populiste et xénophobe allemand. Mais certains partis traditionnels aussi dans leur souci de faire face à cette montée se radicalise et en vienne à se comporter comme de véritables partis populistes dans le seul but de séduire l’électorat nationaliste. C’est le cas de l’UMP en France qui se radicalise de plus en plus en reprenant les thèmes du Front National qui le plus révélateur en ce sens. D’autres encore accepte volontiers de travailler avec ces partis en ignorant leurs frasques. En 2006, le parti de droite démocratique Droit et justice des jumeaux Kaczynski prit cette seconde option en faisant appel au mouvement extrême d’Autodéfense pour créer une majorité au parlement polonais.

            L’auto flagellation allemande ou le refus de s’associer à l’extrême droite ni même de la reconnaître à cause du passé douloureux que représente le nazisme, est un handicap politique certain. La Belgique est obligée de reconnaître la force de la  le NVA, le leader, Bart  de Wever  qui veut la séparation des flamands. Ce gain de la NVA plonge la Belgique après les élections passées dans la situation instable d’état sans gouvernement. La France elle, tente par la force d’imposer des valeurs d’une république sur fond d’intolérance et de xénophobie. Ces diverses attitudes sont des signes de l’inquiétude qui prévalent dans ses états face à la montée des extrémistes. Il faut reconnaitre comme Louis Balthazar (bilan du nationalisme au Québec édition de l’hexagone 1986 page 10) qu’« Aucune autre idéologie, aucun autre mouvement social n’ont constitué un instrument de rassemblement aussi puissant depuis la Révolution française. En raison même de cette puissance redoutable, le nationalisme fait peur. » Elle fait peur parce qu’elle mène à l’intolérance, et au refus de l’autre. A l’intérieur de l’état, elle donne naissance à une véritable guerre contre ceux qui supposément ne font pas partie de la nation. Les immigrants sont les premiers à y souffrir. Le cas de l’Allemagne nazi et de l’holocauste qui en est suivi reste un exemple de ce à quoi peu mener le nationalisme.

         En conclusion nous dirons que la misère collective à la quelle fait face le monde aujourd’hui est le ferment  du nationalisme. Il faut juste revisiter l’histoire pour savoir que la précarité et la pauvreté extrême poussent les peuples à se tourner vers des leaders opportunistes qui vantent le retour sur soi et les valeurs nationalistes. Les humiliations subies par l’Allemagne après la première guerre mondiale et les injustices qui en ont suivies ont permis  l’émergence du nazisme pour finalement aboutir à la deuxième guerre mondiale. Pour nous il faut repenser la société à l’échelle planétaire cela va de soi puisque le monde aujourd’hui devient de plus en plus petit et ressemble à un gros village. La vraie question est pourquoi accepter la mondialisation sur le plan économique si on ne peut le faire sur le plan philosophique ou sociale ?  Ne peut-on pas accepter un système qui dépasse les conceptions étriquées de la nation ? économiquement, les grands acteurs ne sont pas des artisans nationaux, les firmes comme Wal-Mart, Nike, Apple et Microsoft naviguent sans égard aux nations. La FMI, la Banque Mondiale et même l’ONU sont des architectes de politiques financières et économiques de vocation mondialiste. Il serait alors inefficace voire absurde de voir des nations se lever individuellement pour servir de contrepoids à ces acteurs, l’échec étant garanti. C’est justement cette incapacité des nations qui devient la source des ressentiments qui mènent à l’épanouissement des sentiments nationaliste. Il nous parait de plus en plus certains que seul le cosmopolitisme peut servir de contrepoids. Nous sommes d’avis avec Ulrich Beck  dans son ouvrage qu’est ce que le cosmopolitisme ? édition Flammarion page 327  quand il dit que : « l’Europe cosmopolite est l’Europe engagée dans une lutte morale politique, économique, historique, pour la réconciliation ».  Au lieu donc de s’attaquer au nationalisme dominateur par des méthodes qui ne peuvent ni les détruire ni les contenir, c’est la reforme sociétale qui est nécessaire. Ulrich Beck  dans le même ouvrage page 336 montre non sans humour comment les grandes nations européennes sont loin de la réalité mondiale aujourd’hui « les britanniques font comme si la Grande Bretagne existait toujours. Les allemands s’imaginent que l’Allemagne existe. Les français croient que la France existe, etc. mais empiriquement, ces containers nationaux, organisés en États n’existent plus depuis longtemps». Le tout est donc de vivre en harmonie avec un dépassement des concepts nationaux. Kwame Appiah nous dira que l’important, c’est de lutter pour le bien que l’on soit d’accord ou non sur ce que le bien représente pour l’autre. « Il est possible de vivre en harmonie sans être d’accord sur des valeurs sous-jacentes (sauf, peut être sur la valeur cosmopolite du vivre ensemble). Mais l’inverse est aussi vrai nous pouvons nous affronter alors même que nous sommes d’accord sur des valeurs. Les parties en conflits ne s’opposent que rarement parce qu’elles ont une conception contradictoire du bien. Au contraire, les conflits naissent plus souvent entre deux parties qui voient le bien dans une même chose.» Le bien tant convoité par les partis politiques et les idéologues est la nation. Toute politique étatique, toute conception sociétale, toute justice ou équité est conçue sur des bases nationales.  Dépasser la nation, cette entité globalisante au sein de l’état ferait d’elle une coquille vide et libèrera l’humanité. Trop de guerres, trop de souffrances et trop de querelles ont été faites au nom de la nation et ce depuis des siècles. Peut-être est- il temps que l’on pense à autre chose.

 

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