Comprendre la faillite de l’aide publique au développement en Afrique noire francophone (2) Pourquoi aide t-on?

Le sous-développement se définit par rapport au développement, aussi convient-il de voir ce que c’est que le développement. Dans développement, il y a l’idée de croissance, d’enrichissement, bref de s’augmenter de quelque chose; cette chose peut être matérielle ou immatérielle. Larousse définit le développement comme « le fait pour quelque chose de progresser, de s’accroitre, de prendre de l’importance; essor, expansion »[1]. Le sous-développement serait donc un retard de croissance, une carence dans le développement, ou encore une infériorité dans le bien être global d’un pays ou d’une région. Ainsi définie, cette infériorité traduite par le sous-développement peut être perçue sous trois différents angles : une infériorité par rapport à ce qui est possible en terme de développement, une infériorité par rapport à ce qui est nécessaire au développement et une infériorité par rapport aux autres nations qui sont dites développées.

Whitman Rostow le voit différemment, « le développement est le but final d’une société et elle est inéluctable. Certaines sociétés ont juste devancé d’autres dans le processus de développement économique ». [2] Il dénombre donc cinq étapes qui constituent des étapes de toutes sociétés vers le développement. Il s’agit de : la société traditionnelle, les conditions préalables au décollage économique, le décollage économique, le progrès vers la maturité et finalement la dernière étape qui est celle de la consommation de masse. Pour Dieudonné Essomba, économiste camerounais, « le terme sous-développement peut désigner deux réalités fondamentalement différentes, quoique connexes. Il peut d’abord désigner un état de retard, le fait d’une communauté n’ayant pas encore absorbé des techniques productives communes ailleurs. C’est le cas de l’Asie du Sud-Est. Il peut aussi désigner un état occlus, le fait d’une communauté bloquée dans son évolution du fait de sa mauvaise insertion dans l’économie internationale. La caractéristique la plus importante de ce blocage est la « technologie » ou paralysie du capital intellectuel ». Le sous-développement est donc, de l’avis de tous les spécialistes de la question, un retard dans le développement global d’une société, elle ne peut être perçue que par comparaison à des sociétés dites développées. Pierre Moussa posera clairement la complexité et la difficulté de cette notion « Qu’est ce qu’un pays sous-développé? Le mot est un comparatif; il indique que le pays a atteint un niveau de développement inférieur à quoi? Au possible? Au nécessaire? Aux autres? »[3] S’il est difficile de lui donner une définition claire, il s’explique en revanche par plusieurs critères communs.

C’est avant tout un problème géographique, les pays en voie de développement ou sous-développés se situent dans leur majorité entre les tropiques du cancer et du capricorne. Une précarité économique traduite par une sous-industrialisation, un taux élevé de chômage et de sous emploi. C’est aussi une économie basée uniquement sur l’exportation des matières premières dont les prix sont fixés par les pays riches et sur l’importation de presque tous les produits transformés. Il faut ajouter l’aspect social et humain. En effet, ces pays ont une faiblesse générale du niveau de vie, une forte croissance démographique marquée par de nombreuses inégalités ainsi que des divisions ethniques, claniques, et familiales. Ce facteur humain est aggravé par la précarité de la santé, l’analphabétisme, la mortalité infantile etc. À ces différents critères on relève aussi une dimension psychologique qui est une analyse de la mentalité, de la perception, ou de la compréhension de l’économie par les populations de ces pays. L’individu est cloué sur le poids des traditions qui l’empêche d’innover. L’indifférence globale face à la chose économique et l’acceptation plus ou moins tacite de la corruption sont des situations typiques que l’on retrouve dans les pays en voie de développement. Et enfin un critère politique propre aux pays sous-développés serait le manque de démocratie, de liberté, et de transparence.

Nous avons donc noté plusieurs critères qui, pris singulièrement, peuvent expliquer le sous-développement à savoir : la situation géographique, la précarité de l’économie, l’aspect social et humain, l’insouciance face à l’économie, l’aspect psychologique, et l’état de la politique. Nous insistons sur le fait que pris singulièrement, l’un de ces critères peut expliquer le sous développement parce qu’en fait l’un est nécessairement cause de l’autre et la conséquence d’un autre d’où la complexité de la notion. A cette complexité de cerner la notion du sous-développement, viennent s’ajouter les différents prismes par lesquels se font les analyses sur cette notion. Plusieurs courants ont, en effet, essayé d’expliquer le sous-développement suivant leur tendances sans toute fois nier ces critères; chacun prêchant pour sa paroisse. On peut légitimement classer ces courants de pensées sur le sous-développement en trois groupes: les courants déterministes, les courants libéraux ou économiques et les courants marxistes ou structuralistes que l’on qualifie aussi de tiers-mondistes.

Pour les tenants du déterminisme, le sous-développement ne peut être expliqué que par des facteurs naturels. La situation géographique par exemple de l’Afrique subsaharienne est un cadre idéal pour des maladies endémiques et épidémiques comme le paludisme, trypanosomiase, l’onchocercose, la fièvre jaune, le sida, Ébola etc. Ces maladies constituent un frein pour une production véritable ce qui en retour entraine la faim, la malnutrition et autres fléaux propres au-sous-développement. Cette approche a une saveur de fatalisme. Ainsi la simple localisation géographique explique les raisons d’un retard sur le plan de développement. Nous croyons qu’il faut aller plus loin que cette approche puisque la fatalité géographique n’est pas unique à l’Afrique noire francophone. Le japon pourrait légitimement invoquer la fréquence des tremblements de terre ou séismes, le Canada soutiendra le froid si le développement était lié à la géographie (80% des 31 millions la population canadienne vit à moins de 250km de la frontière sud du pays)[4]

Les tenants du courant libéral privilégient l’aspect économique. Pour eux, ce retard dans le développement est en fait un manque ou une mauvaise adaptation de ces pays à l’économie de marché. En effet, ces pays n’ont pas su passer de l’économie traditionnelle à l’économie moderne. Les exemples à ce sujet sont nombreux, mais on peut singulièrement soulever le fait que ces économies sont uniquement basées sur l’industrie primaire, le secteur secondaire étant peu ou inexistant. Prenons le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Togo; ces pays sont producteurs de cacao et de café mais il n’existe pas d’usine de transformation du café ni du cacao de telle sorte qu’ils sont obligés d’importer les produits issus de leur matière première à un prix couteux. De plus la maitrise des techniques scientifiques fait défaut, les quelques rares experts africains préfèrent l’occident où ils sont plus capables de vendre leur savoir.

Les analyses structuralistes encore appelés tiers-mondistes voient dans le sous-développement, une domination des pays riches vis-à-vis des pays pauvres. Ils constatent que ces pays ont souffert de la colonisation des pays riches ce qui a d’une part détruit les socles et les structures de leur économie traditionnelle, et d’autre part permis aux colons, donc aux pays riches de profiter de leur matière première pour se développer à leur dépend. Le règlement de la situation passe donc nécessairement par le rejet de ce dualisme puisque le monde selon eux est divisé en deux : les riches et les pauvres. C’est bien une manière simple d’expliquer une situation complexe. Beaucoup d’anciennes colonies peuvent être citées aujourd’hui comme exemple de pays développés ou de pays émergents. La Finlande a acquis définitivement son indépendance en 1947 et la chine en 1949.

La littérature sur le sous-développement et l’aide qui lui est associée peut être scindée en cinq grandes étapes. La première, qui couvre la période de l’après guerre jusque dans le milieu des années cinquante fut une période de dénonciation du sous-développement, mais aussi une. La littérature dans la moitié des années 50 portait une critique sur les conceptions simplistes du sous-développement. Cette période riche en théories de toutes sortes, reconnaissait la complexité et la spécificité du phénomène et proposait des solutions globales. La troisième période se distingue par l’application de diverses théories de développement. Durant et après la décolonisation, le monde est divisé en deux blocs, le bloc capitaliste et le bloc communiste, l’aide ainsi que l’application des théories dépendaient du bloc auquel on appartenait. La quatrième période qui va de la chute du mur du Berlin jusqu’aux années 2000 est une période de constat de l’échec de l’aide. La dernière période qui va du milieu des années 2000 jusqu’à nos jours apparait comme une période d’essai de nouvelles approches

Aujourd’hui, non seulement on constate un échec mais aussi parfois un empirement de la situation. Des voix ont commencé à réclamer d’autres approches et font le constat selon lequel les pays en voie de développement sont les premiers qui doivent être tenus responsables de leur situation. Cette position qui voit dans l’Afrique la responsabilité de son échec sur le plan économique malgré la pléthore d’aides qui lui est accordée, était impensable il y a une cinquantaine d’années. Bien que certains continuent à nier cette réalité, il semble important et même rationnel qu’après 50 ans d’aide et 2000 milliards d’investis, l’on cherche à voir les raisons pour lesquelles la pauvreté est toujours présente. La doctrine est divisée néanmoins sur les solutions, il y a ceux qui prônent de repenser l’aide et donc une aide conditionnée, et l’autre partie qui dénonce et demande l’abolition pure et simple de l’aide au développement.

La logique d’un retard de développement étant acceptée par tous, une aide au développement apparait comme un moyen pour stopper le sous-développement. La question ici est de savoir pourquoi faut-il aider ? En d’autres termes quels sont les raisons qui motivent l’acte ou l’action de porter assistance ? Dans le cadre de notre travail nous refusons d’adhérer aux explications simplistes qui voudraient que l’Afrique soit aidée parce que son retard de développement s’explique par la colonisation. La colonisation aurait donc piller l’Afrique de ses ressources en même temps qu’elle détruisait les bases de l’économie et de la société traditionnelle. Comme nous l’avons déjà évoqué cette position ne tient pas pour deux raisons. La première, est que l’histoire est pleine de pays colonisés qui aujourd’hui font partie du club des pays développés[5]. La deuxième raison est qu’une aide ne peut être perçue comme une obligation. Aider dans son sens premier est un geste altruiste, elle dépend de la volonté expresse du donateur. Ainsi pourquoi aide t-on? Les motivations derrière une assistance sont multiples et bien de philosophes se sont penchés sur la question.

Certains comme Hannah Arendt estime que l’aide, l’assistance ou le fait de venir au secours de quelqu’un s’inscrit dans les fondements de la société. Cette attitude qui consiste à voler au secours d’un plus faible ou d’un démuni traduit donc une inclinaison naturelle qui montre la dépendance des hommes entre eux dans la société. Ceci rejoint le concept d’amitié cher à Aristote[6] qui estime que dans sa forme la plus noble; les amis se souhaitent mutuellement le bien. Ainsi, c’est l’acceptation de ce rapport de connexité entre les hommes, fondement même d’une société qui explique le geste désintéressé qui est l’assistance. Cette position est très contraire à celui de Max wéber, qui estime que l’assistance relèverait donc d’un calcul rationnel dans le but d’acquérir une satisfaction. Pour lui, les relations sociales sont nécessairement fondées sur la lutte des classes et la concurrence et non sur la solidarité. Le vivre ensemble est sous-entend sur deux types de sélection à travers lesquels se déterminent les actions; la sélection biologique et la sélection sociale. Ce qui est applicable au niveau individuel, l’est nécessairement au niveau des états et nations. Ce point de vue n’est pas partagé par tout le monde. Certains pensent que c’est plutôt Max Scheler où le soucis d’autrui peut provenir de la confiance de soi et du respect qui est le moteur de la sympathie que bénéficient les pays pauvres. Cette thèse psychologique affirme que l’aide s’inscrit dans une logique sécuritaire. Nous portons assistance à l’autre afin que sa condition ne devienne pas une menace pour notre sécurité ou de notre confort. Cette crainte peut être justifiée ou non mais l’important ici c’est qu’elle devienne ou qu’elle soit perçue comme le déclencheur de ce geste. Cette tentative d’explication de l’assistance par la peur inclue les craintes d’ordre théologique, moral ou éthique. L’aide ou l’assistance étant inscrite dans toutes les religions du monde et même dans certains cas passible de la lourde peine de ne pas rencontrer Dieu après la vie en cas de défaut de charité. Ceci semble motiver beaucoup de donateurs privés qui financent des projets dans le but de réduire l’immigration qui est alors perçue comme la source d’une dépravation culturelle.

Mais pour Robert Keohane, « la coopération internationale ne résulte pas nécessairement de l’altruisme, de l’idéalisme, de l’honneur personnel, de l’existence d’objectifs communs, de normes internationales, ou de croyances partagées dans un ensemble de valeurs constructives d’une culture. Ces facteurs de motivation humaine peuvent avoir joué un rôle à tel ou tel moment ou dans telle ou telle région du monde. Mais la coopération peut être comprise sans aucune référence à aucun de ces facteurs »[7]; il faut comprendre l’assistance internationale sous l’angle d’un égoïsme rationnelle. L’aide ou assistance n’a donc rien d’altruiste ou de désintéressé, elle a une motivation qui s’inscrit soit dans la pensée de Friedrich Nietzsche qui croit que le soucis actif de l’autre peut être expliqué par l’auto dévalorisation, soit comme chez Max Scheler où le soucis d’autrui peut provenir de la confiance de soi et du respect. Nous nous inscrivons dans cette lignée, l’aide pour autrui n’est pas toujours, mais peut être altruiste ou désintéressée. Ici nous dirons même que les motifs guidant l’acte ne sont pas importants quand on considère l’acte dans toute sa globalité. Évidemment on verra très naïve cette manière de voir qui consiste à affirmer que les motivations de l’aide au développement n’ont pas d’importance quand à la pertinence de cette aide. Nous sommes d’accord que le conditionnement de l’aide est une réalité mais cette réalité n’est amputable qu’aux pays assistés. Nous croyons fermement que les motivations de l’aide ou de l’assistance sont sans valeur du moment où les pays assistés peuvent ou ont cette capacité de refuser une aide qu’ils estiment guidée par des considérations ou des motifs contraires à leur développement. On ne peut accuser quelqu’un qui donne d’une mauvaise intention quand on a un besoin, mais on peut en revanche refuser le don, ce qui revient à préférer sa propre misère à un cadeau jugé empoisonné. Ce levier important qui est la volonté et aussi la capacité de dire non est le véritable problème de l’aide et non l’intention ou la conditionnalité de l’aide. Quelle soit altruiste ou vénale, une aide suppose d’une part, un besoin d’assistance dans un domaine précis qu’il faut satisfaire, d’autre part, elle n’est effective que dans le cas d’une acceptation expresse ou tacite de l’assisté; sans ces deux conditions l’acte ne saura être qualifié d’aide. Il faut donc capitaliser sur ce qui est influençable dans l’assistance. S’il ne peut modifier l’attitude ou l’intention du donateur, l’assisté peut modifier son approche face à l’objet c’est à dire l’assistance. Il lui reviendra alors de déterminer sa propre éthique. Est ce que cette aide m’est profitable? Pourquoi un tel désire m’aider? Pourquoi devrais-je l’accepter? Qu’est ce qu’elle ferait de moi une fois que je l’accepte? Ces questions sont des questions légitimes qui devraient guider les pays en voie de développement dans l’élaboration d’une éthique de l’aide au développement. Sans une éthique de refus des pays pauvres, la situation restera toujours au point mort, surtout que le concept même de l’aide est très complexe et regroupe tout ce qui est imaginairement possible. Nous essayerons de voir ce que le terme d’aide publique au développement regroupe.


[1] Dictionnaire Larousse Edition 2011

[2] Whitman Rostow « the process of economy grow » Cambridge University press 1990

[3]Pierre Moussa « les nations prolétaires » Paris presses 1960 page 1

[5] A l’indépendance en 1957 le Ghana était plus riche que la Corée du sud aujourd’hui selon les experts, il est 30 fois plus pauvre que ce pays

[6] Pour Aristote l’amitié est le lien social qui est le plus important dans la société car il fait du vivre en ensemble un choix et non une nécessité. Il en distingue trois types d’amitié ; elle basé sur la vertu donc la plus noble, celle basée sur les plaisirs et celle basée sur les intérêts

[7] Robert Keohane, prix Johan Skytte de science politique en 2005, ici repris par Jean Jacques Gabbas, Nord –Sud : l’impossible coopération, Presse de Science Po page 49

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