L’éthique appliquée de Georges Legault et l’éthos contemporain

L’éthique appliquée est née de la faillite de l’idée que l’on avait du fait que la raison pouvait à elle seule guiderait la bonne conduite de l’homme. C’est dans cette logique que le droit positif s’inscrit dans sa tentative d’encadrer les comportements. Or nous dit George Légault, ni la raison, ni le droit, ni même les sanctions qui s’y rattachent  n’ont pas pu empêcher l’homme de connaître les dérives des guerres, de la technoscience et des conflits de société. Pour lui, les raisons de l’éthique appliquée et de son développement sont à trouver dans l’inefficacité du droit positif. Le monde contemporain est caractérisé par la séparation du droit et de la morale, qui deviennent en même temps deux modes privilégiés de régulation de comportements. Alors se posent les questions de savoir pourquoi obéir à la morale ? et pourquoi respecter le droit ? cette loi est-elle juste dans cette situation ? Paradoxalement le respect du droit revient à la conscience morale de l’individu. En clair, on nous demande d’être des personnes dotées d’un certain sens  de valeur afin de respecter le droit ; mais entre temps la morale dont la source principale n’est autre que le divin perd de sa valeur puisque l’existentialisme est venue contester l’existence même du Dieu, le père fouettard, qui par la crainte de sa colère nous obligeait à être vertueux. Légault voit alors dans l’éthique appliquée un exercice permettant de trouver le juste ou la meilleure finalité dans une situation conflictuelle quitte à aller  défier le droit et même la morale.

Légault propose donc une éthique appliquée qui se veut une philosophie pratique et  qui trouve ces sources dans la philosophie contemporaine. C’est une éthique pragmatique dans laquelle, la quête du juste situationnel est rendue nécessaire par le langage et le partage mutuel des expériences de tous les acteurs. Chacun argumente en vue de trouver un consensus sur la meilleure finalité de la situation, ici la vérité absolue n’existe pas mais la vérité qui fait du sens. Comme il le dit si bien « … l’éthique appliquée se présente comme un dépassement nécessaire des insuffisances du discours de la métaéthique dans le domaine moral et invite à repenser la nature même du discours philosophique afin qu’il soit utile dans la vie sociale » Georges Légault, Ethique appliquée éthique engagée page 30. Dans ce pragmatisme, où le langage joue un rôle important, l’auteur nous apprend qu’il permet aux acteurs  de se rencontrer et de mener une réflexion dans laquelle chacun propose. Loin d’une éthique de la discussion, comme celle d’Habermas, le dialogue fait appel ici à la coopération, « mais les conditions d’effectuation du dialogue exigent des participants d’entrer dans un processus de coopération. La participation au dialogue implique ainsi un retour sur soi (transparence), un souci de l’autre et une maîtrise de soi dans l’usage de la parole (autorégulation) ». Georges Légault, éthique appliquée, éthique engagée page 37. S’il est vrai que l’éthique appliquée de Légault se base sur le pragmatisme et le langage pour se concevoir, elle est avant tout une recherche sur les valeurs suffisantes dans  la justification d’une action dans un cadre concret et circonscrit. En cela elle n’a qu’un potentiel d’universalité quand l’éthique (principalement celle de la discussion d’Habermas) parle d’universalisation. Elle est plus portée par la raison pratique et tente à justifier les raisons d’une action rendue nécessaire dans un contexte donné et elle reconnaît que sa finalité n’est pas de trouver une solution dogmatique et intangible. C’est ce qu’il affirme en disant que «La distinction entre éthique fondamentale et l’éthique appliquée (…) la philosophie pratique ne prétend jamais atteindre des fondements absolus mais uniquement des fondements suffisants à une décision pratique » (George Légault Professionnalisme et délibération éthique page 235). Dans tous les cas la question de la liberté est très importante pour l’auteur car elle permet au sujet de penser la question éthique tant sur sa finalité que sur les moyens à entreprendre pour cette meilleure finalité dans un cadre non dogmatique. Il faut donc comprendre que cette liberté a deux pôles, une liberté que le sujet se donne pour penser en dehors de ses préjugés et dogmes propres mais aussi un cadre de liberté qui l’empêche de suivre, de se conformer ou mieux de s’adapter à la position du puissant du jour. En quoi correspond-elle donc à l’éthos contemporain ?

Pour voir ce lien il est important de retourner à sa genèse ; en effet l’éthique appliquée est née des coups portés des bouleversements sociaux et le progrès de la technoscience à la morale traditionnelle. Cette nouvelle forme d’éthique  s’inscrit donc dans la pensée postmoderniste qui s’affiche par sa pluralité de valeurs et son individualisme. Guy Giroux  illustre bien ce chaos promoteur de l’éthique appliquée  par le néolibéralisme caractéristique de la pensée contemporaine. En effet, les crises économiques et la faillite de l’état-providence ont montré que le rôle de législateur tous azimuts  de l’état n’arrive plus à encadrer l’agir. Au lieu de voir le droit, seule forme d’hétérorégulation  encore acceptable puisque la morale et les mœurs ont été soumis à la raison, sombrer dans le néant et laisser place à l’anarchie, il faut repenser une forme d’éthique autorégulatrice dont la mission serait d’ « équilibrer ou compléter la régulation que le droit ne parviendrait pas à établir par lui seul ». (Guy Giroux : les besoins auxquels obéit la demande d’éthique dans la société page 77.) L’éthique appliquée est une éthique qui se vit au quotidien et qui est liée à la pensée contemporaine. Intimement liée à l’habitat ou éthos, l’éthique appliquée par sa raison pratique et situationnelle devient le reflet de cet éthos qui est le réceptacle des traditions, des mœurs et de la morale contemporaine mais qui en est en même temps la source. Il ne peut en être autrement puisque c’est l’habitat qui fournit à l’éthique appliquée les bases de sa rationalité pratique dans une situation décisionnelle, mais en retour cette dernière (l’éthique appliquée) établie une solution pratique à un conflit sociétal qui n’est pas universel mais potentiellement universalisable. C’est donc une véritable correspondance qui s’établit entre l’ethos contemporain et le modèle d’éthique appliquée proposée par George Légault

Par cette relation, nous dirons que l’éthique appliquée s’affiche aujourd’hui comme le tremplin de la responsabilisation d’une société. L’éthique comme discours sur les valeurs dépouillée d’une capacité régulatoire, n’est rien d’autre qu’une réflexion. En revanche faire d’elle un mode d’autorégulation c’est lui donner  une vie dans la société d’où sa nécessité. Ainsi le modèle d’éthique appliquée proposée par Légault prend sa source dans l’habitat s’en nourrit  et se réalise en lui.

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Comprendre la faillite de l’aide publique au développement en Afrique noire francophone (2) Pourquoi aide t-on?

Le sous-développement se définit par rapport au développement, aussi convient-il de voir ce que c’est que le développement. Dans développement, il y a l’idée de croissance, d’enrichissement, bref de s’augmenter de quelque chose; cette chose peut être matérielle ou immatérielle. Larousse définit le développement comme « le fait pour quelque chose de progresser, de s’accroitre, de prendre de l’importance; essor, expansion »[1]. Le sous-développement serait donc un retard de croissance, une carence dans le développement, ou encore une infériorité dans le bien être global d’un pays ou d’une région. Ainsi définie, cette infériorité traduite par le sous-développement peut être perçue sous trois différents angles : une infériorité par rapport à ce qui est possible en terme de développement, une infériorité par rapport à ce qui est nécessaire au développement et une infériorité par rapport aux autres nations qui sont dites développées.

Whitman Rostow le voit différemment, « le développement est le but final d’une société et elle est inéluctable. Certaines sociétés ont juste devancé d’autres dans le processus de développement économique ». [2] Il dénombre donc cinq étapes qui constituent des étapes de toutes sociétés vers le développement. Il s’agit de : la société traditionnelle, les conditions préalables au décollage économique, le décollage économique, le progrès vers la maturité et finalement la dernière étape qui est celle de la consommation de masse. Pour Dieudonné Essomba, économiste camerounais, « le terme sous-développement peut désigner deux réalités fondamentalement différentes, quoique connexes. Il peut d’abord désigner un état de retard, le fait d’une communauté n’ayant pas encore absorbé des techniques productives communes ailleurs. C’est le cas de l’Asie du Sud-Est. Il peut aussi désigner un état occlus, le fait d’une communauté bloquée dans son évolution du fait de sa mauvaise insertion dans l’économie internationale. La caractéristique la plus importante de ce blocage est la « technologie » ou paralysie du capital intellectuel ». Le sous-développement est donc, de l’avis de tous les spécialistes de la question, un retard dans le développement global d’une société, elle ne peut être perçue que par comparaison à des sociétés dites développées. Pierre Moussa posera clairement la complexité et la difficulté de cette notion « Qu’est ce qu’un pays sous-développé? Le mot est un comparatif; il indique que le pays a atteint un niveau de développement inférieur à quoi? Au possible? Au nécessaire? Aux autres? »[3] S’il est difficile de lui donner une définition claire, il s’explique en revanche par plusieurs critères communs.

C’est avant tout un problème géographique, les pays en voie de développement ou sous-développés se situent dans leur majorité entre les tropiques du cancer et du capricorne. Une précarité économique traduite par une sous-industrialisation, un taux élevé de chômage et de sous emploi. C’est aussi une économie basée uniquement sur l’exportation des matières premières dont les prix sont fixés par les pays riches et sur l’importation de presque tous les produits transformés. Il faut ajouter l’aspect social et humain. En effet, ces pays ont une faiblesse générale du niveau de vie, une forte croissance démographique marquée par de nombreuses inégalités ainsi que des divisions ethniques, claniques, et familiales. Ce facteur humain est aggravé par la précarité de la santé, l’analphabétisme, la mortalité infantile etc. À ces différents critères on relève aussi une dimension psychologique qui est une analyse de la mentalité, de la perception, ou de la compréhension de l’économie par les populations de ces pays. L’individu est cloué sur le poids des traditions qui l’empêche d’innover. L’indifférence globale face à la chose économique et l’acceptation plus ou moins tacite de la corruption sont des situations typiques que l’on retrouve dans les pays en voie de développement. Et enfin un critère politique propre aux pays sous-développés serait le manque de démocratie, de liberté, et de transparence.

Nous avons donc noté plusieurs critères qui, pris singulièrement, peuvent expliquer le sous-développement à savoir : la situation géographique, la précarité de l’économie, l’aspect social et humain, l’insouciance face à l’économie, l’aspect psychologique, et l’état de la politique. Nous insistons sur le fait que pris singulièrement, l’un de ces critères peut expliquer le sous développement parce qu’en fait l’un est nécessairement cause de l’autre et la conséquence d’un autre d’où la complexité de la notion. A cette complexité de cerner la notion du sous-développement, viennent s’ajouter les différents prismes par lesquels se font les analyses sur cette notion. Plusieurs courants ont, en effet, essayé d’expliquer le sous-développement suivant leur tendances sans toute fois nier ces critères; chacun prêchant pour sa paroisse. On peut légitimement classer ces courants de pensées sur le sous-développement en trois groupes: les courants déterministes, les courants libéraux ou économiques et les courants marxistes ou structuralistes que l’on qualifie aussi de tiers-mondistes.

Pour les tenants du déterminisme, le sous-développement ne peut être expliqué que par des facteurs naturels. La situation géographique par exemple de l’Afrique subsaharienne est un cadre idéal pour des maladies endémiques et épidémiques comme le paludisme, trypanosomiase, l’onchocercose, la fièvre jaune, le sida, Ébola etc. Ces maladies constituent un frein pour une production véritable ce qui en retour entraine la faim, la malnutrition et autres fléaux propres au-sous-développement. Cette approche a une saveur de fatalisme. Ainsi la simple localisation géographique explique les raisons d’un retard sur le plan de développement. Nous croyons qu’il faut aller plus loin que cette approche puisque la fatalité géographique n’est pas unique à l’Afrique noire francophone. Le japon pourrait légitimement invoquer la fréquence des tremblements de terre ou séismes, le Canada soutiendra le froid si le développement était lié à la géographie (80% des 31 millions la population canadienne vit à moins de 250km de la frontière sud du pays)[4]

Les tenants du courant libéral privilégient l’aspect économique. Pour eux, ce retard dans le développement est en fait un manque ou une mauvaise adaptation de ces pays à l’économie de marché. En effet, ces pays n’ont pas su passer de l’économie traditionnelle à l’économie moderne. Les exemples à ce sujet sont nombreux, mais on peut singulièrement soulever le fait que ces économies sont uniquement basées sur l’industrie primaire, le secteur secondaire étant peu ou inexistant. Prenons le Ghana, la Côte d’Ivoire et le Togo; ces pays sont producteurs de cacao et de café mais il n’existe pas d’usine de transformation du café ni du cacao de telle sorte qu’ils sont obligés d’importer les produits issus de leur matière première à un prix couteux. De plus la maitrise des techniques scientifiques fait défaut, les quelques rares experts africains préfèrent l’occident où ils sont plus capables de vendre leur savoir.

Les analyses structuralistes encore appelés tiers-mondistes voient dans le sous-développement, une domination des pays riches vis-à-vis des pays pauvres. Ils constatent que ces pays ont souffert de la colonisation des pays riches ce qui a d’une part détruit les socles et les structures de leur économie traditionnelle, et d’autre part permis aux colons, donc aux pays riches de profiter de leur matière première pour se développer à leur dépend. Le règlement de la situation passe donc nécessairement par le rejet de ce dualisme puisque le monde selon eux est divisé en deux : les riches et les pauvres. C’est bien une manière simple d’expliquer une situation complexe. Beaucoup d’anciennes colonies peuvent être citées aujourd’hui comme exemple de pays développés ou de pays émergents. La Finlande a acquis définitivement son indépendance en 1947 et la chine en 1949.

La littérature sur le sous-développement et l’aide qui lui est associée peut être scindée en cinq grandes étapes. La première, qui couvre la période de l’après guerre jusque dans le milieu des années cinquante fut une période de dénonciation du sous-développement, mais aussi une. La littérature dans la moitié des années 50 portait une critique sur les conceptions simplistes du sous-développement. Cette période riche en théories de toutes sortes, reconnaissait la complexité et la spécificité du phénomène et proposait des solutions globales. La troisième période se distingue par l’application de diverses théories de développement. Durant et après la décolonisation, le monde est divisé en deux blocs, le bloc capitaliste et le bloc communiste, l’aide ainsi que l’application des théories dépendaient du bloc auquel on appartenait. La quatrième période qui va de la chute du mur du Berlin jusqu’aux années 2000 est une période de constat de l’échec de l’aide. La dernière période qui va du milieu des années 2000 jusqu’à nos jours apparait comme une période d’essai de nouvelles approches

Aujourd’hui, non seulement on constate un échec mais aussi parfois un empirement de la situation. Des voix ont commencé à réclamer d’autres approches et font le constat selon lequel les pays en voie de développement sont les premiers qui doivent être tenus responsables de leur situation. Cette position qui voit dans l’Afrique la responsabilité de son échec sur le plan économique malgré la pléthore d’aides qui lui est accordée, était impensable il y a une cinquantaine d’années. Bien que certains continuent à nier cette réalité, il semble important et même rationnel qu’après 50 ans d’aide et 2000 milliards d’investis, l’on cherche à voir les raisons pour lesquelles la pauvreté est toujours présente. La doctrine est divisée néanmoins sur les solutions, il y a ceux qui prônent de repenser l’aide et donc une aide conditionnée, et l’autre partie qui dénonce et demande l’abolition pure et simple de l’aide au développement.

La logique d’un retard de développement étant acceptée par tous, une aide au développement apparait comme un moyen pour stopper le sous-développement. La question ici est de savoir pourquoi faut-il aider ? En d’autres termes quels sont les raisons qui motivent l’acte ou l’action de porter assistance ? Dans le cadre de notre travail nous refusons d’adhérer aux explications simplistes qui voudraient que l’Afrique soit aidée parce que son retard de développement s’explique par la colonisation. La colonisation aurait donc piller l’Afrique de ses ressources en même temps qu’elle détruisait les bases de l’économie et de la société traditionnelle. Comme nous l’avons déjà évoqué cette position ne tient pas pour deux raisons. La première, est que l’histoire est pleine de pays colonisés qui aujourd’hui font partie du club des pays développés[5]. La deuxième raison est qu’une aide ne peut être perçue comme une obligation. Aider dans son sens premier est un geste altruiste, elle dépend de la volonté expresse du donateur. Ainsi pourquoi aide t-on? Les motivations derrière une assistance sont multiples et bien de philosophes se sont penchés sur la question.

Certains comme Hannah Arendt estime que l’aide, l’assistance ou le fait de venir au secours de quelqu’un s’inscrit dans les fondements de la société. Cette attitude qui consiste à voler au secours d’un plus faible ou d’un démuni traduit donc une inclinaison naturelle qui montre la dépendance des hommes entre eux dans la société. Ceci rejoint le concept d’amitié cher à Aristote[6] qui estime que dans sa forme la plus noble; les amis se souhaitent mutuellement le bien. Ainsi, c’est l’acceptation de ce rapport de connexité entre les hommes, fondement même d’une société qui explique le geste désintéressé qui est l’assistance. Cette position est très contraire à celui de Max wéber, qui estime que l’assistance relèverait donc d’un calcul rationnel dans le but d’acquérir une satisfaction. Pour lui, les relations sociales sont nécessairement fondées sur la lutte des classes et la concurrence et non sur la solidarité. Le vivre ensemble est sous-entend sur deux types de sélection à travers lesquels se déterminent les actions; la sélection biologique et la sélection sociale. Ce qui est applicable au niveau individuel, l’est nécessairement au niveau des états et nations. Ce point de vue n’est pas partagé par tout le monde. Certains pensent que c’est plutôt Max Scheler où le soucis d’autrui peut provenir de la confiance de soi et du respect qui est le moteur de la sympathie que bénéficient les pays pauvres. Cette thèse psychologique affirme que l’aide s’inscrit dans une logique sécuritaire. Nous portons assistance à l’autre afin que sa condition ne devienne pas une menace pour notre sécurité ou de notre confort. Cette crainte peut être justifiée ou non mais l’important ici c’est qu’elle devienne ou qu’elle soit perçue comme le déclencheur de ce geste. Cette tentative d’explication de l’assistance par la peur inclue les craintes d’ordre théologique, moral ou éthique. L’aide ou l’assistance étant inscrite dans toutes les religions du monde et même dans certains cas passible de la lourde peine de ne pas rencontrer Dieu après la vie en cas de défaut de charité. Ceci semble motiver beaucoup de donateurs privés qui financent des projets dans le but de réduire l’immigration qui est alors perçue comme la source d’une dépravation culturelle.

Mais pour Robert Keohane, « la coopération internationale ne résulte pas nécessairement de l’altruisme, de l’idéalisme, de l’honneur personnel, de l’existence d’objectifs communs, de normes internationales, ou de croyances partagées dans un ensemble de valeurs constructives d’une culture. Ces facteurs de motivation humaine peuvent avoir joué un rôle à tel ou tel moment ou dans telle ou telle région du monde. Mais la coopération peut être comprise sans aucune référence à aucun de ces facteurs »[7]; il faut comprendre l’assistance internationale sous l’angle d’un égoïsme rationnelle. L’aide ou assistance n’a donc rien d’altruiste ou de désintéressé, elle a une motivation qui s’inscrit soit dans la pensée de Friedrich Nietzsche qui croit que le soucis actif de l’autre peut être expliqué par l’auto dévalorisation, soit comme chez Max Scheler où le soucis d’autrui peut provenir de la confiance de soi et du respect. Nous nous inscrivons dans cette lignée, l’aide pour autrui n’est pas toujours, mais peut être altruiste ou désintéressée. Ici nous dirons même que les motifs guidant l’acte ne sont pas importants quand on considère l’acte dans toute sa globalité. Évidemment on verra très naïve cette manière de voir qui consiste à affirmer que les motivations de l’aide au développement n’ont pas d’importance quand à la pertinence de cette aide. Nous sommes d’accord que le conditionnement de l’aide est une réalité mais cette réalité n’est amputable qu’aux pays assistés. Nous croyons fermement que les motivations de l’aide ou de l’assistance sont sans valeur du moment où les pays assistés peuvent ou ont cette capacité de refuser une aide qu’ils estiment guidée par des considérations ou des motifs contraires à leur développement. On ne peut accuser quelqu’un qui donne d’une mauvaise intention quand on a un besoin, mais on peut en revanche refuser le don, ce qui revient à préférer sa propre misère à un cadeau jugé empoisonné. Ce levier important qui est la volonté et aussi la capacité de dire non est le véritable problème de l’aide et non l’intention ou la conditionnalité de l’aide. Quelle soit altruiste ou vénale, une aide suppose d’une part, un besoin d’assistance dans un domaine précis qu’il faut satisfaire, d’autre part, elle n’est effective que dans le cas d’une acceptation expresse ou tacite de l’assisté; sans ces deux conditions l’acte ne saura être qualifié d’aide. Il faut donc capitaliser sur ce qui est influençable dans l’assistance. S’il ne peut modifier l’attitude ou l’intention du donateur, l’assisté peut modifier son approche face à l’objet c’est à dire l’assistance. Il lui reviendra alors de déterminer sa propre éthique. Est ce que cette aide m’est profitable? Pourquoi un tel désire m’aider? Pourquoi devrais-je l’accepter? Qu’est ce qu’elle ferait de moi une fois que je l’accepte? Ces questions sont des questions légitimes qui devraient guider les pays en voie de développement dans l’élaboration d’une éthique de l’aide au développement. Sans une éthique de refus des pays pauvres, la situation restera toujours au point mort, surtout que le concept même de l’aide est très complexe et regroupe tout ce qui est imaginairement possible. Nous essayerons de voir ce que le terme d’aide publique au développement regroupe.


[1] Dictionnaire Larousse Edition 2011

[2] Whitman Rostow « the process of economy grow » Cambridge University press 1990

[3]Pierre Moussa « les nations prolétaires » Paris presses 1960 page 1

[5] A l’indépendance en 1957 le Ghana était plus riche que la Corée du sud aujourd’hui selon les experts, il est 30 fois plus pauvre que ce pays

[6] Pour Aristote l’amitié est le lien social qui est le plus important dans la société car il fait du vivre en ensemble un choix et non une nécessité. Il en distingue trois types d’amitié ; elle basé sur la vertu donc la plus noble, celle basée sur les plaisirs et celle basée sur les intérêts

[7] Robert Keohane, prix Johan Skytte de science politique en 2005, ici repris par Jean Jacques Gabbas, Nord –Sud : l’impossible coopération, Presse de Science Po page 49

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Comprendre la faillite de l’aide publique au développement en Afrique noire francophone

Dans une série de publications nous allons essayer de présenter l’aide au développement et essayer de montrer pourquoi elle ne marche pas. Il faut bien le dire, cette aide à l’Afrique ne fonctionne pas, Nous allons nous attarder plus sur la responsabilité de l’Afrique noire. Cela ne veut pas dire que l’occident est exempt de toute responsabilité dans cette faillite de l’aide. il a une responsabilité et cela ne fait aucun doute. Mais il faut aussi souligner et c’est important, la responsabilité des pays africains dans cette faillite. Dans cette étude, nous nous limiterons seulement à l’Afrique noire francophone. Notre souhait est de susciter une réflexion sur cette problématique. Nous reconnaissons d’emblée que notre vision sur la situation est incomplète, nous espérons cependant qu’elle puisse constituer une base pour la réflexion pour quiconque nous suit.

L’aide au développement est un concept qui date des années cinquante et dont le but est de porter assistance aux pays du sud c’est-à-dire pays en voie de développement afin de les sortir de la situation de misère dans laquelle ils vivent. Après soixante années d’existence, on peut globalement parler d’échec quand au but, parce que non seulement elle n’a pas permis à ces pays de sortir de la misère, mais ces pays se sont plus appauvris. Pourquoi l’aide publique, au lieu de supprimer la misère est-elle devenue un des vecteurs de cette misère?

Les pays de l’Afrique noire francophone comptent parmi les plus pauvres de la planète. Ils sont pour la plupart des pays qui vivent sur la charité des pays du nord. La première caractéristique commune à ces pays est le fait que l’aide au développement joue un rôle essentiel dans l’établissement des politiques économiques et sociales. Ce que l’on appelle communément aide au développement peut être classée en trois grandes catégories suivant ces sources. Elle peut provenir d’un état ou un groupe d’états, d’un organisme ou d’une fondation, d’une entreprise ou d’un particulier. Dans le cadre de notre étude nous nous limiterons uniquement sur l’aide bilatérale autrement dit l’aide publique au développement provenant uniquement d’un pays ou au mieux d’un groupe de pays. En fait, cette aide qui est très hétéroclite, est la plus importante et constitue la base même du développement de ces pays. Cette attitude qui consiste à asseoir son développement sur la charité d’un autre pays est en elle-même un frein au développement[1]. En effet, il nous semble irrationnelle pour un état qui plus indépendant, de baser sa prospérité, son épanouissement, ou sa liberté sur l’altruisme ou l’humeur d’un autre pays ou d’une organisation. C’est en partie pour cela qu’aujourd’hui tout le monde s’accorde à dire que l’aide n’a pas été profitable à l’Afrique en général et qu’il faudrait la repenser.

Depuis la période des indépendances soit il y a une cinquantaine d’années, non seulement ces aides n’ont pas réussi à éradiquer la pauvreté, mais elles ont contribué à son expansion à tel point qu’on les qualifie ironiquement aujourd’hui non plus de « pays sous développés » ou de « pays en voie de développement », mais de « pays en voie de sous-développement ». C’est le même constat que fait d’ailleurs l’économiste Dambisa Moyo[2] « Plus de deux mille milliards d’aide étrangère ont été transférés vers des pays pauvres au cours des cinquante dernières années, l’Afrique étant, et de loin, la principale bénéficiaire de cette manne. Or, quels qu’aient été les motifs qui ont inspiré ces dons l’aide n’a pas été à la hauteur de ses promesses d’assurer une croissance économique durable et de réduire la pauvreté ». On pourrait évidemment voir cette progression de la pauvreté sous l’angle des donateurs et parler d’une aide inadaptée et d’une conditionnalité de l’aide empêchant tout développement. Mais on pourrait aussi la voir sous l’angle exclusif de ces pays de l’Afrique noire francophone qui sont les seuls responsables de ne pas avoir su gérer cette aide. Cette deuxième vision est plus en accord avec notre pensée, car il faut bien le dire, à quoi servirait-il de venir en aide à un nécessiteux si ce dernier n’a pas conscience de son état ou s’il n’a pas un désir réel de sortir de sa situation?

Nous partons de deux postulats : « la main qui donne est toujours au dessus de la main qui reçoit » cela suppose qu’on ne peut parler d’aide qu’en présence d’un donateur et d’un receveur. Le donateur est toujours dans une position dominante. Le receveur est dans une position de faiblesse mais possède un levier important; celui-ci consiste à accepter ou à refuser l’aide qui lui est octroyée. Notre deuxième postulat, relatif à l’assisté ou receveur, suppose que ce dernier est soit dans une incapacité temporelle ou incapacité permanente. L’incapacité temporelle suppose que l’assisté a besoin d’un coup de pouce afin de se sortir de l’impasse et reprendre sa destinée en main. L’incapacité permanente en faite est un handicap, puisqu’elle suppose une aide permanente. Les pays d’Afrique noire francophone sont-ils dans une incapacité temporelle ou permanente? Nous ne pensons pas que l’Afrique, ce mendiant assis sur une mine d’or, est atteinte d’une incapacité permanente au point où elle ne peut véritablement plus être artisane de son développement. En fait nous nous souscrivons à l’idée que l’Afrique noire francophone peut se sortir de la pauvreté si elle accepte de se prendre en main. Cela suppose un travail douloureux qui consiste à faire le choix de certaines valeurs nécessaires au développement parmi lesquelles la lutte contre la corruption. Il faut donc un changement radical de mentalité, éviter la culture de la non responsabilité et les jérémiades qui consistent à trouver dans l’occident qui est en fait le donateur, le seul responsable de notre pauvreté. Il existe plusieurs raisons qui expliquent la végétation de cette région du monde dans la pauvreté et une de ces principales raisons est la corruption. Ici la corruption est prise dans son sens premier c’est a dire celui de la perversion.

Par corruption de l’aide publique au développement nous entendons donc parler de l’altération ou mieux de la perversion de l’idée originale de l’aide au développement. Le but ou la finalité de l’aide qui est le développement et donc la fin de la pauvreté est minée par la corruption. Et ce développement que nous assimilons à la lutte contre la pauvreté ne peut être atteint, parce que cette finalité a été dénaturée par la qualité de l’aide. Nous sommes d’accord que la corruption nécessite un corrupteur et un corrompu, mais dans cet exposé nous nous arrêterons sur le corrompu africain qui peut être un excellent corrupteur suivant les situations. Nous ne nous attarderons pas sur la corruption des pays donateurs pour la raison que l’aide qu’ils accordent est par essence altruiste. On pourrait, en toute logique et avec raison nous opposer le fait qu’une aide n’est jamais altruiste et que d’une manière générale se sont les conditions qu’imposent les pays riches pour l’octroie de l’aide qui constitue une corruption et donc un frein au développement. Ceci est vrai dans une certaine mesure, mais alors nous reviendrons sur notre premier postulat à savoir que le receveur de l’aide dispose toujours de sa liberté de dire oui ou non à l’aide.

Pour bien mener ce travail, il nous faut révisiter le concept de développement et l’aide au développement comme moyen de finir avec le sous-développement. Il s’agit ici de voir comment le concept a pris forme et de parler de son évolution spatiotemporelle. Notre cadre est l’Afrique noire francophone, mais il se peut que nous sortions de ce cadre, et ce serait alors pour faire une analogie ou une comparaison. La dernière partie de cet exposé sera consacrée aux moyens que nous jugeons nécessaires pour vaincre la pauvreté dans ces pays. Cette partie sera brève et laissera plusieurs sur leur soif. Ceci est délibéré mais s’inscrit dans le cadre que nous nous sommes fixé. En effet, nous avons affirmé qu’on pouvait expliquer l’échec de la lutte contre la pauvreté en Afrique de plusieurs manières dont la corruption. Il nous semble donc logique de ne pas rechercher des solutions globales ou globalisantes pour le problème, si ce n’est qu’un aspect du problème qui a été étudié.

Nous sommes d’avis que résoudre la problématique de la stagnation économique de l’Afrique noire francophone et la pauvreté qui en découle nécessite une étude de différents facteurs conjoncturels qui sont inhérents à l’Afrique. Mais selon notre vision, la corruption constitue un des plus importants et son étude nous permettra de voir pourquoi l’Afrique à échouer dans ses nombreuses tentatives d’enrayer la pauvreté.


[1] Andrew Mwenda journaliste a pu montrer que l’APD représentait 50% du budget annuelle de l’Ouganda, on imagine comment un pays pourrait alors se développer s’il n’a pas la maitrise d’une moitié de son budget voir http: / / www.cato.org/pubs/fpbriefs/fpb88.pdf Andrew Mwenda (10/11/2009)

[2] Dambisa Moyo, économiste, ex employée de la banque mondiale «l’aide fatale», Éditions JC Lattès 2009, page 64

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la morale de Nietzsche

Pour Nietzsche, la morale se définit comme l’ensemble des mœurs communément admises, c’est la conformité aux choses qui sont bonnes ou jugées bonnes. L’on ne peut et l’on ne doit questionner la morale puisque par essence, elle est jugée bonne et tout homme aspire à faire le bien. Mais en rendant la morale libre de toutes critiques, elle réduit l’homme de sa puissance créatrice et l’empêche de s’affranchir, de vivre cette vie qui doit être la sienne et qui est celle de créer. La morale est donc au-dessus de tout et c’est ce qui la rend en fait questionnable selon Nietzsche. Comme il le dit si bien dans l’introduction de son essai, « il faut commencer par mettre en question la valeur même de ses valeurs » Généalogie de la morale introduction 6. Qu’est ce que c’est que cette morale que l’on ne peut questionner?  Pour lui ce qui compte en premier c’est la liberté de pensée, la liberté de questionner tout y compris le moral elle-même. La morale ne permettant pas dans une large mesure de questionner ce qu’elle juge bon, Nietzsche en conclura que pour vivre bien il faudrait que l’homme vive par-delà le bien et le mal. Il rejette ainsi les critères traditionnels du bien et du mal, et voit dans le monde deux types de personnes: les faibles (les esclaves), dont la morale est le résultat d’un ressentiment et dont les valeurs suprêmes sont la pitié, l’humilité le pardon et l’altruisme. Ces valeurs conduisent sans aucun doute à une dépréciation de soi, l’esclave a peur de vivre pleinement car vivre pleinement implique une liberté de penser et une affirmation de soi. En revanche, la morale des forts (maîtres) procède d’une affirmation de soi et consiste à la glorification de la vie, en d’autres termes ils sont des créateurs et ils agissent dans le monde.

Il faut voir que le philosophe à l’opposé de Kierkegaard qui proposait un christianisme authentique et une morale individuelle ne propose rien.  Nietzsche part du fait que la religion, du moins celle luthérienne est l’apanage des gens qui ne sont pas capables de concevoir pour eux-mêmes comment vivre et font de Dieu garant de la morale. Pour lui Dieu est mort, « en vérité, en vérité je vous le dis ce Dieu n’a été que votre plus grand malheur, vous êtes sauvés que depuis qu’il gît dans sa tombe, Dieu est mort… » Ainsi parlait Zarathoustra. Dieu comme législateur de la morale occidentale est mort, il n’existe plus. La mort du Dieu législateur de la morale occidentale entraîne une réorganisation; la morale n’existe plus mais il y a la vie, la vie qui est en nous. Cette vie symbolisée par Dionysus (dieu du vin et de la fécondité dans la mythologie grecque) n’est rien d’autre que pulsion, désir, orgueil, violence et sensualité. Ce n’est pas une vie de raison, mais de pulsion. La question qui revient est donc si l’on est prêt à assumer la vie qui est en nous. Cette vie dont il parle est la volonté de puissance (traduction qui n’est pas très correcte car en allemand, le terme: « will zur mach » signifierait plutôt volonté vers la puissance). La vie est volonté vers la puissance, c’est l’essence de l’être; c’est elle qui fait mouvoir l’être. C’est une force qui pousse à être, une pulsion féroce qui met l’être face au choix de se surpasser ou de renoncer à ce dépassement de soi. L’homme moral est celui qui assume la tâche d’affronter cette pulsion et qui finit par la maîtriser, cette maîtrise fait de lui un noble, un maître, un surhomme qui vit pleinement sa vie et qui se moque du bien et du mal car ce qui compte c’est la réalisation de soi, la liberté et l’affirmation de soi. Au contraire le faible ou l’esclave qui continue à croire en Dieu et à sa morale et se dérobe de cette volonté de puissance. Il fait partie du troupeau et est incapable de vivre pleinement, de surpasser cette pulsion qu’il refoule pour finalement se perdre dans les attitudes de dénégations défensives en refusant par la même d’accepter les conditions fondamentales de la vie. Il choisit la volonté du néant.

Remarquons que pour Nietzsche, le christianisme a ramolli l’homme en lui miroitant une récompense dans un au-delà qui est inexistant, un néant. C’est ce nihilisme qu’il faut combattre, car L’homme ne croit plus en ces vertus qui sont nées d’un long exercice de préjugées conventionnelles. Au départ et comme le dit Nietzsche, « la vie se fiche de la morale ». Au-delà des valeurs chrétiennes, les bases Kantiennes de la connaissance, de même que le rationalisme scientifique n’a aucun sens car les idées demeurent avant tout des idées et sont incapables de changer le monde; la vie à montrer que la volonté a toujours le dessus sur la raison et la connaissance. Ce n’est ni la vertu, ni la vérité qui anime l’homme mais la pulsion du vouloir vivre. La religion en voulant instaurer l’inverse n’a fait que confiner l’homme dans « une morale d’esclave ». L’homme, pour bien vivre doit se réaliser et ainsi devenir un surhomme. La finalité morale de l’homme, le but à atteindre pour tout être c’est devenir selon Nietzsche un surhomme, Il affirme donc que « l’homme est une corde tendue entre la bête et le surhomme ». C’est être celui qui est capable de créer ces propres valeurs, qui a la force d’accepter la vie concrète, la vie telle qu’elle est, une vie dénuée de tous les artifices sans sombrer dans les attraits d’un au-delà semblable à un arrière monde invisible et éternel. Le surhomme, c’est justement celui qui transcende la réalité factuelle grâce à une force créatrice sans cesse renouveler. C’est celui qui fait avec le désespoir le plus profond, l’espoir le plus invincible; pour lui la quête de la vérité devient une tache sans fin, puisque la vérité réside elle-même dans l’acte de dépasser toute prétendue vérité. Il n’y a aucune croyance, aucun dogme, aucune certitude, si ce n’est le dépassement de soi. Le surhomme est un homme libre, cette liberté signifie que les instincts virils prédominent sur tous les autres même sur ceux du bonheur « L’homme devenu libre, combien plus encore l’esprit devenu libre, foule aux pieds cette forme méprisable de bien-être dont rêvent les épiciers, les chrétiens, les vaches, les femmes, les Anglais et d’autres démocrates. La morale chrétienne doit être remplacée par l’Amor fati ou l’amour du destin, le consentement au monde tel qu’il est, c’est l’attitude du surhomme. L’Amor fati, c’est : « vis comme si dans tout ce que tu veux faire, tu veuilles le faire un nombre infini de fois » le monde ne parviendra jamais à son point d’équilibre et  se déroulera toujours sur lui même en un éternel retour. Cet éternel retour est cette vie qui est inlassable et qui reviendra toujours. Notre action est morale lorsque cette action est telle que l’on consentirait à la répéter indéfiniment.

Nietzsche définit ainsi une morale d’élite, Dieu est mort emportant avec lui le bien et le mal, les forts l’ont compris et tendent vers le surhomme, les faibles vont continuer à croire en Dieu c’est la logique de la vie. Le but premier du surhomme n’est pas la domination du troupeau, cependant dans le développement de sa puissance, il va attirer dans son sillage le troupeau ou peut être même l’exploiter, mais cela aussi fait partie de la logique de la vie. L’éthique qu’il propose se retrouve chez les présocratiques qui étaient selon lui créateurs de valeurs, ils étaient capables de supporter la vie et avancer sans égard au troupeau. C’est une approche très critique de la morale et de ses fondements qui évidemment se prête à des critiques.

             Ce que nous propose Nietzsche c’est une morale des forts pas toujours au détriment des faibles mais la possibilité même que le fort écrase le faible existe et ne l’effraie pas du tout. Il est sans considération pour ceux qu’il appelle le troupeau, alors que ces derniers représentent la majorité de la société. Du point de vue de la volonté de puissance, le faible est donc celui qu’on peut mépriser, ou maltraiter bref celui qu’on peut considérer comme étant inférieur et faire souffrir car « voir souffrir fait du bien faire souffrir encore plus de bien. » Généalogie de la morale dissertation 2. Est ce qu’une volonté de puissance sans considération de la vie est normale? nous pensons que la vie est à respecter même si on l’assimile à la volonté de puissance ou autre chose, on ne peut sous prétexte d’une force ou d’un élitisme, détruire une autre vie. Cette volonté de puissance implique qu’il n’y a pas de valeurs universelles. Qu’il n’y a de valeur ou de force qui s’impose sans que d’autres valeurs ou forces ne soient détruites, vaincues ou anéanties, ne doit être qu’une conception étriquée, égoïste et dangereuse. On ne peut ne pas constater l’universalité de certaines valeurs liées à la vie. Le faible peut l’être ou le devenir par suite de maladie ou autres aléas que l’existence donne. Est –il donc faible et par conséquent méprisable, celui qui a une maladie neurologique l’empêchant de vivre pleinement? cette manière de voir les choses même si on peut penser que ce n’est pas le but primordial du surhomme ouvrent la porte à beaucoup de groupuscules qui prônent une certaine domination dans la société. Il soulève ainsi la question de savoir si les nazi ou les négriers étaient en droit de mépriser les juifs ou les noirs.

Il se pourrait en effet que l’être ne soit pas juste faible par paresse ou par destin, mais intérieurement faible. Je veux  ici parler d’un enfant, qui même s’il est destiné à devenir un surhomme, a besoin du temps pour développer cette vitalité qui doit le propulser à mordre dans la vie. Alors qu’advient-il quand son intérêt croise celui d’un surhomme égoïste accompli ? Le triste constat est que Nietzsche ne prévoit pas une exception dans la faiblesse, cependant la faiblesse humaine, celle de l’enfant, est telle qu’elle a besoin d’être universellement protégée. Il y a des valeurs universelles dans la vie, il y a des valeurs qui sont nécessaires pour la vie en société et pour la pérennité de notre civilisation. On ne peut renier ces valeurs de compassion, de pitié sans transformer la société en une jungle ou le plus fort triomphera. Nietzsche se pose en successeur de Dionysos pour s’attaquer à Socrate ou tout au moins aux valeurs qu’il a engendrées et au christ dont les enseignements constituent la base de la morale chrétienne. Mais comme il le dit, lui-même croit en la vie, d’autre part on peut voir dans l’évangile selon Saint Jean que jésus affirme, «  je suis le chemin, la vérité et la vie » doit-on voir en Jésus un surhomme ? Si oui, cette hypothèse est intéressante du fait que Jésus toute sa vie a prôner, les valeurs de pitié, d’humilité, de charité etc. Sans toute fois sombrer dans une glorification de la morale chrétienne propre culte religieux et aux Chrétiens, on peut affirmer que Jésus avait tout d’un surhomme qui a entraîné dans son sillage un bon nombre de fidèles et qui s’est pleinement réalisé dans sa vie. Si une telle hypothèse est vraie alors la philosophie morale Nietzschéenne ne serait qu’un ressentiment du faible (l’auteur) qui est pris dans la spirale de renversement des valeurs. Nietzsche serait-il un faible qui essaie à travers sa philosophie morale de renverser les valeurs?

Francis Fukuyama dans la fin de l’histoire et le dernier homme disait qu’un « Un chien est heureux de dormir au soleil toute la journée, pourvu qu’il soit nourri, parce qu’il n’est pas insatisfait de ce qu’il est. Il ne se soucie pas de ce que d’autres chiens fassent mieux que lui, ou que sa carrière de chien soit restée stagnante. » Telle est peut-être une image d’un faible qui se prive de création, mais a-t-on besoin de créer ou de se surpasser, si l’on aspire à vivre une petite vie tranquille? Le fait même de conceptualiser et d’intégrer cette manière de vivre et de manifester ce désir de vie tranquille est en un sens une force. C’est justement ne pas être insatisfait, de ce que l’on est et de retenir ses pulsions qui poussent à la jalousie, à l’envie et autres, en un mot c’est se surpasser. Alors Pourquoi faudrait-il manifester une grandeur instinctive si l’on peut très bien vivre dans une tranquillité dans une petite vie tranquille ? certes nos pulsions nous poussent à la violence, à la conquête et autres désirs mais la religion pose des valeurs qui sont des freins à ses désirs sans quoi l’homme, même le surhomme finirait par ne plus exister puisqu’il aurait finalement détruit sa propre civilisation

             Nietzsche est un grand philosophe qui a eu une très grande influence sur le 20e siècle, et ses écrits sont toujours d’actualité. Cette actualité concerne surtout la philosophie continentale (Europe continentale), et ce sont les artistes,essayistes et romanciers qui sont les premiers à manifester de l’intérêt à sa pensée ( Khalil Gibran, André Gide, Thomas Mann et autres). Ces dernières années, de nouveaux philosophes qui, s’insurgeant contre l’idéologie de gauche ont tenté de glisser la pensée de Nietzsche dans un anti-humanisme barbare et condescendant. On l’a même accusé de nazisme, cependant une recherche studieuse et non partisane montre qu’il était loin du nazisme et qu’il dénonce même le ressentiment accumulé à l’égard des juifs chose assez rare pour son temps. Le professeur Louis Godbout a écrit dans son essai Nietzsche et la probité, que « ce n’est plus à l’objet de sa recherche qu’on doit juger le philosophe, mais à l’exigence interne de son questionnement. Le critère déterminant n’est plus la vérité ou la fausseté des thèses mais la vertu du penseur.» C’est une manière assez juste de voir l’œuvre et la vie de cet auteur caractérisé par une ambivalence. Il a une plume qui ne laisse pas indifférente, qui choque. Mais cet aphorisme n’est pas accidentel même si on juge de sa santé mentale. C’est plutôt une manière d’écrire qui choque par son caractère succinct et son autosuffisance et en cela il provoque d’autres pensées. C’est donc un guide qui ouvre la porte à d’autres car il ne prétend pas tout dire ni le tout sur un sujet, mais il dégage le champ à de nouvelles perceptions et d’autres considérations. Il se pose en chercheur de vérité, mais en même temps il se fait le plus virulent critique de cette notion. Il vit dans le modernisme et rêve d’un passé présocratique et le tout dans une lucidité qui choque. Cette contradiction est peut-être une manière d’exorciser sa tragédie intérieure, reflet d’une vie jalonnée de perte de personne et d’amitié. Mais à travers tout on verra en lui celui qui a montré que la crise de la morale (la morale chrétienne) n’est pas en soit la fin de la sagesse, ni l’avènement d’un chaos, mais le début d’une nouvelle réflexion. Il a influencé le mode pensé du 20e siècle et servi de tremplin à d’illustres penseurs comme Albert camus, Freud et autres.

Pour tout conclure on ne peut être que défenseur de la pensée de Nietzsche car en refusant l’idée d’une vérité de la morale, il renforce le doute méthodique si cher à Descartes, et ouvre à la science des voies jusque-là inexplorées. Il a le mérite de déterminer l’homme et ses pulsions préalablement à la morale et une généalogie de celle ci. Mais la morale peut empêcher une société de partir à la dérive pour ainsi finir dans l’horreur, si on laissait l’homme à ses pulsions. La morale reste une valeur qui évolue dans le temps et le bien d’aujourd’hui n’est nécessairement pas celle de demain, c’est cette évolution de la morale peu importe la manière donc elle survient qui est le moteur du développement humain et le garant de notre civilisation.

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Nietzsche-  » la généalogie de la morale »

Cet ouvrage important de Nietzsche a d’abord pour but de montrer à travers une évolution historique que la morale est une invention humaine. L’importance même de ce sujet se retrouve jusque dans le style de cette œuvre. En effet, la généalogie de la morale et l’étude sur la naissance de la tragédie sont ses seules œuvres construites sur le mode dissertatif contrairement à son style bien connu d’aphorismes, de citations et autres textes courts. Il réduit la morale à un fait historique qu’il faut interpréter, elle n’est plus absolue ou universellement présente en chaque homme de façon innée, mais la morale devient individuelle, évolutive et soumise aux caprices de l’histoire. Ce livre (la généalogie de la morale) qui comporte trois dissertations entend d’abord dépasser les criticismes de Kant qui n’a pas osé critiquer la religion, et aussi pour répondre à Schopenhauer, le philosophe pessimiste qui avait trouvé dans le vouloir vivre de Nietzsche une absurdité face à la réalité pessimiste de la vie. Dans l’introduction, il cherche à déterminer qui a inventé la morale, « qui a inventé les jugements de valeurs bon et méchant ». Il est clair pour l’auteur que la morale c’est le produit d’un petit nombre. Il va essayer de voir comment ses valeurs morales se développent-elles en occident et montrer la nécessité d’une nouvelle exigence celle d’une critique de ses valeurs morales.

Dans la première dissertation intitulée « Bon et méchant »  « Bon et mauvais », l’enquête historique et philologique de Nietzsche lui permet de déterminer deux sortes de morales : celle des aristocrates (créateurs, maîtres) et celle des esclaves (faibles, impuissants). Il revient sur l’origine du Bon et du mauvais en prenant pour point de départ la révolte des esclaves dans la morale. Pour lui, « le soulèvement des esclaves dans la morale commence lorsque le ressentiment devient lui-même créateur et engendre des valeurs » La généalogie de la morale page 35 -10. Lorsque l’esclave réussit à imposer un acte intellectuel par lequel il tient le maître responsable de sa condition, les mauvaises valeurs comme la pitié, triomphent en ce moment des valeurs aristocratiques issues de l’affirmation de soi. Montrer du doigt le maître en tant que méchant permet à l’esclave de se poser en bon, du coup le gueux devient le bon et l’aristocrate, le méchant. Cette situation a été illustrée à la page 31-7, en remontant dans l’histoire, l’exemple des juifs israéliens esclaves des Égyptiens. « Ce sont les juifs qui, avec une effrayante logique osèrent retourner l’équation des valeurs aristocratiques (bon = noble = beau = heureux = aimé des dieux) et qui ont maintenu ce retournement avec la ténacité d’une haine sans fond (la haine de l’impuissance).

    La deuxième dissertation se propose de montrer l’origine de la mauvaise conscience, de la naissance de la faute. Il voit dans le prolongement d’un ressentiment et de son retour contre soi l’essence de la mauvaise conscience. Comme il le dirait c’est l’aigle qui, qualifié de rapace et de méchant coupable par l’agneau, l’accepte et se culpabilise à son tour. La mauvaise conscience est donc un retournement de la force contre elle-même, une douleur intérieure qui s’intériorise et qui pour se libérer a besoin d’un mea culpa, d’un châtiment, elle est contraire à la morale. En clair, l’esclave qui a réussi déjà à montrer que son maître était responsable de sa situation se pose en bon ce qui fait de son maître le mauvais; un mauvais qui non seulement voit en son esclave le bon, mais aussi le responsable de son état. Cette responsabilité fautive du maître entraîne une culpabilité qui a besoin de repentance. Après avoir pensé l’origine de la morale, puis des valeurs, Nietzsche donne du sens aux idéaux ascétiques. Cet idéal pour lui referme toutes les fictions que la morale et la connaissance ont pu produire jusqu’à présent. Par lui l’homme trouve des réponses qui ont pour lui du sens, des questions qui l’ont toujours hanté. Mais il ajoutera que: jusqu’à présent l’idéal ascétique a été a tous égards le « faute de mieux » par excellence. (La généalogie de la morale page 198-28).  Finalement, l’idéal ascétique, ce n’est pas la souffrance, c’est le non-sens de la souffrance puisque le sens que l’homme cherchait a sa souffrance, il le trouve cet idéal. Voila l’origine de toute la morale!

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Nietzsche – l’homme et son temps (1)

Friedrich Nietzsche est né à Rocken (Prusse) aujourd’hui Allemagne le 15 Octobre 1844, il eut un frère Ludwig Joseph et une sœur Elisabeth. Il est issu d’une famille pieuse qui appartient à une longue tradition baptiste luthérienne. Son père Karl Ludwig, était pasteur comme l’était son propre père et sa mère, Franziska Oehler fille d’un pasteur. C’est dans cette atmosphère de piété religieuse que se passera l’enfance de Nietzsche. Une enfance qui ne fut sans doute pas très paisible; son père de santé fragile mourra en 1849 non sans avoir inculqué à Nietzsche le goût de la poésie et de la musique, et son frère le suivit en 1850. À l’âge de 6ans, Nietzsche avait déjà perdu deux êtres chers: son père et son frère. Cette tragédie l’affecta beaucoup malgré son jeune age. Nietzsche passa alors sa jeunesse dans un milieu strictement féminin entouré par sa mère, sa sœur, sa grande mère, et ses tantes. Élève doué et très intelligent, il s’adonne à la musique et à l’écriture très tôt dans sa jeunesse et composa même quelques pièces pour piano. En 1864 il commença à Bonn ses études en théologie et en philologie, mais Nietzsche n’a en ce moment qu’une passion, la philosophie. Il abandonna l’année suivante (1865) ses études en théologie pour se consacrer uniquement à la philologie. Il devient professeur à l’université de Bale à 25 ans avant même d’avoir eut son doctorat tant il était plein de génie. Cependant il ne conservera pas longtemps ce poste certainement à cause de ses terribles migraines qui sont préludes à une longue et pénible maladie qui aboutira au mutisme à la coprophagie puis à la démence. Nietzsche a laissé beaucoup d’ouvrages repartis généralement en deux catégories. Les écrits de jeunesse (1858-1864) dans lesquels le jeune Nietzsche exalte la grandeur de la morale, l’amour et la justice sont des recueils pour la plupart des essais, des poèmes et des journaux intimes. Dans ces écrits de jeunesse, on note les influences de Schopenhauer et Wagner jusque dans le style. On est bien loin du Nietzsche accompli qui va adopter son propre style et une philosophie bien différente de ces derniers, on peut citer: la liberté de la volonté (1862), sur les tonalités de l’Ame (1864) et Au dieu inconnu (1864). Les écrits du philosophe mature sont constitués d’Aphorisme, récits courts et percutants, les mots choisis sont vifs, ne laissent pas indifférents et imposent une réflexion. Parmi ses oeuvres, nous citerons: Humain, trop humain (1878) Aurore (1881) Le gai savoir (1882) Ainsi parlait Zarathoustra (1883-1885), par-delà le bien et le mal (1886), Généalogie de la morale (1887), le crépuscule des idoles (1888 publié en 1889) L’Antéchrist (1888 publié en1894), Ecce homo (1888 publié en 1908).

Ce qu’apporte ce philosophe du 20e siècle n’est pas le rationalisme mais une philosophie basée sur le courage, la soif de la perfection et du dépassement de soi. Philologue, Nietzsche a été influencé par la culture et la réflexion de la Grèce antique. De ces philosophes grecs, il s’oppose à Socrate qui selon lui, propose une dictature du logos en n’étant lui-même qu’un porte-parole de personnes pleines de ressentiment. Il va rejeter tout de Socrate et de son élève Platon d’où sa fameuse phrase « Avec Socrate c’est trop tard ». La dialectique, voie d’enseignement de ce dernier sera critiquée et il va privilégier la prose, les citations et l’aphorisme comme mode de transmission de sa philosophie. En revanche, il loue l’intelligence des présocratiques qui ont inventé selon lui les grands types de la pensée philosophique. Mais au-delà des influences de la Grèce antique, c’est « le monde comme volonté et comme représentation » du Philosophe allemand Arthur Schopenhauer qui va bouleverser ses références et lui permettre de se redéfinir en cherchant l’origine des choses, même s’il se brouillera plus tard avec Schopenhauer lui reprochant son pessimisme. Arthur Wagner ce musicien de talent constituait aussi une source d’inspiration à Nietzsche par la puissance musicale et le sens grandiose de ses arts de scène, mais il se brouillera aussi avec lui en lui reprochant de sombrer le superficiel. C’est dans la généalogie que se trouve selon lui le rapport entre le passé et le présent. Comprendre,  le sens actuel de nos valeurs, revient donc à chercher la source de ces valeurs et donc la généalogie. Dans «la généalogie de la morale» Nietzsche revient donc à l’origine de ce que nous considérons comme valeur morale. Loin d’être, une simple spéculation ou un simple point d’interrogation, le problème de la valeur, de la pitié et de la morale devient pour lui un questionnement sur la valeur même de ses valeurs. Pourquoi nous sentons-nous obligés d’être bon? Quelle était la nature primordiale ou l’explication première de cette vertu que nous appelons morale? Pour comprendre une valeur morale, il faut nécessairement saisir son essence et faire l’analyse de ce qui a conduit à cette valeur. En somme, il faut  au risque de choquer, faire la généalogie de cette morale.

Mais avant de faire cette généalogie de la morale (qui sera la deuxième), essayons de situer l’homme dans son contexte historique. Cet exercice est intéressant pour comprendre la morale de Nietzsche à notre avis. En effet, la seconde partie du 19ème siècle est une période remarquable sur tous les plans à cause de la révolution industrielle qui bat son plein et qui transformera le visage européen. La connaissance scientifique permet une évolution sans précédent dans les domaines de la physique, la mécanique, la médecine, l’économie etc. et son application donne lieu à plusieurs inventions. De nombreuses perspectives de bonheur de par ses nouvelles inventions semblent s’ouvrir à l’humanité. Cet élan nouveau se manifeste sur tous les plans et une idéologie de progrès et de conquête s’installe avec l’apparition des grands empires coloniaux (conférence de Berlin en 1884). En Allemagne, Bismarck devient chancelier en 1862 et gagne la guerre contre la France, guerre à laquelle Nietzsche participe. Cette époque de croissance et de connaissance accouche de nouvelles idées qui ne s’accommodent plus avec le pessimisme de la pensée chrétienne. Sur le plan des idées, beaucoup de courants se développent; l’idéalisme allemand, comme celle de Schopenhauer qui reprend ce qui semble intéressant dans la pensée de Kant tout en rejetant ses approches métaphysiques jugées dépassées. Le Positivisme d’Auguste Comte essaie d’analyser les spéculations métaphysiques jugées abstraites et établir les critères rationnels du savoir. En Angleterre, Bentham et Mill développent l’utilitarisme avec comme principe « le plus grand bonheur au plus grand nombre ». La politique fut ébranlée avec les théories de Marx, Angel et Proudhon qui voulaient modifier les conditions de vie des ouvriers par un changement radical des structures économiques et politiques de la société. Les mouvements anarchistes aussi sont à la vogue, ils refusent toute contrainte découlant des institutions et proposent une société dans laquelle les individus coopèrent librement dans une sorte d’autogestion. Le nihilisme qui considère le monde comme dénué de toute signification de tout but et de toutes valeurs. C’est dans ce contexte que se situe l’approche de Nietzsche qui n’est autre qu’un rejet des valeurs morales chrétiennes (luthériennes) dont il démontre l’origine et la vacuité.

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Crise d’identité professionnelle et la place de l’État dans les ordres professionnels

On ne peut parler de crise d’identité professionnelle sans définir ce qu’est la profession, et surtout ce qu’elle veut dire dans l’esprit du public et des professionnels eux-mêmes. La racine latine du mot profession renvoie à l’idée d’une déclaration, c’est l’activité déclarée d’une personne ou en d’autres termes son métier. De nos jours il y a deux idées qui viennent colorer ce sens de la profession ; premièrement, par extension le mot vient signifier le regroupement des activités par des secteurs plus ou moins définis (profession de la santé, Profession agricole), et deuxièmement, il véhicule l’idée d’une certaine maîtrise, d’une qualification ou même d’une érudition dans l’activité ladite profession. L’expertise des professionnels fait que le public a recours à leur service dans les domaines de leur activité, pour satisfaire des besoins qui seraient difficilement comblés sans l’aide de personnes qualifiées en la matière. Parler de crise suppose alors deux aspects. Le premier aspect vient du fait que le professionnel ne se reconnaît plus dans sa profession. Il y a donc un clivage entre ses valeurs propres et les valeurs qu’exige la pratique de la profession, car avant tout, se dire professionnel suppose qu’il y a une harmonie entre ses propres valeurs et celles de la profession qu’on exerce. Cette situation a été savamment illustrée par Georges Legault dans « Crise d’identité professionnelle » où il montre l’interconnexion ou l’harmonie qui doit exister entre les 3 diagrammes représentant l’idée que nous faisons de nous-mêmes. Le premier diagramme représentant l’identité issue de l’appartenance familiale, le deuxième se réfère à l’identité institutionnelle et le troisième à l’identité sociale. Cette harmonie est d’abord ce qui pousse même au choix de la profession et plus tard c’est elle qui fait que l’on se sent bien dans ce qu’on fait comme métier. Le deuxième aspect vient de l’idée que le sollicitant a du professionnel à qui il demande un service, mais aussi de tout l’ordre que représente ce professionnel. Les deux aspects du problème sont liés, l’un ne pouvant exister sans l’autre. L’ordre professionnel a besoin du public pour exister et le public a besoin de professionnels afin de satisfaire ses besoins. Accepter l’existence d’une crise c’est accepter un manque de confiance. La crise identitaire contemporaine serait-elle issue de l’exigence d’un public de plus en plus savant ? d’une spécialisation de plus en plus poussée des professionnels ? du fait que les professionnels deviennent de plus en plus des salaries ? ou encore d’un malaise général de la société que reflète les ordres professionnels ?

Dans tous les cas, une crise d’identité professionnelle suppose une crise des valeurs, que professionnel se pose des questions sur la moralité de ses actes professionnels, ou que le public se méfie des valeurs que prône le professionnel. À l’origine les ordres professionnels avaient gardé un prestige du justement à leur mission qui était de préserver un certain savoir, d’avoir un code de conduite, auquel se soumettait tout membre et qui garantissait la confiance du public ; bref les ordres professionnels avaient pour mission de vérifier la formation et l’intégrité nécessaires à la compétence professionnelle de ses membres ; en clair, ils étaient les garants de la confiance du public. De nos jours, cette notion est mise en mal par l’évolution des pratiques professionnelles. D’anciennes professions libérales, ils sont devenus des salariés soit de l’état, soit des groupes multinationaux dont les priorités sont parfois bien ailleurs que dans l’éthique. Garantir la survie d’un ordre professionnel se résume donc à suivre un code de déontologie. La question éthique a donc évolué de « est ce bon à faire ?» à « est ce que c’est acceptable du point de vue déontologique ?» ce qui déshumanise l’ordre et en retour alimente la méfiance du public et brise cette harmonie dont nous avons parlé plus haut. Est ce qu’un salarie peut, en dehors de toute contrainte faire valoir son point de vue dans toute situation professionnelle ? point de vue qui peut être l’opposé de son employeur ? Peut-on se soumettre à un employeur dont le but est la réalisation d’un profit maximum et satisfaire les besoins d’un particulier pour un coût moindre ou même raisonnable ? entre ces deux points de vue antagonistes, comment se sent le professionnel écartelé entre les exigences de son employeur et celles du sollicitant ?

L’intervention de l’Etat dans les ordres professionnels se limite à la protection du public, c’est donc une approche préventive qui sous entend que l’état même fait confiance aux ordres professionnels à se gérer eux-mêmes. Cette confiance en la propre capacité de gestion des ordres professionnels implique aussi que l’autorité publique est satisfaite des compétences professionnelles prônées par l’ordre ; même si elle se réserve toujours le droit de déterminer les champs de pratique. Mais en acceptant ces compétences elle ne peut qu’accepter les jugements professionnels qui eux-mêmes ont pour fondement l’éthique et la déontologie. En parlant de cette autorégulation, Dany Rondeau (lieux et contextes de l’autorégulation en éthique), reprenant une citation du petit manuel d’éthique appliquée à la gestion publique observe qu’ « ici la régulation émane du sujet lui-même, qui décide de ses choix et de ses actions ». Alors que le code déontologique se présente comme un ensemble de règles qui doit régir le rapport entre les professionnels d’une part et les rapports entre ces derniers et le public c’est-à-dire leurs clients d’autre part, l’éthique professionnelle renvoie à la nécessité du professionnel d’agir selon les vertus dans une situation donnée. En ce sens l’éthique professionnelle analyse un cas d’espèce ou de situation afin de trouver la meilleure solution, elle œuvre par l’argumentation et la discussion, et dépasse le caractère général de la morale. Ce qui est moralement bon dans un cas peut s’avérer moins bon dans une autre situation c’est la logique dans l’éthique professionnelle. L’éthique ou le jugement professionnel a été très bien défini dans le rapport préliminaire de consultation sur l’effondrement du viaduc de la concorde (Luc Begin, Dany Rondeau et Nicole Marchand) ; « le jugement professionnel fait donc appel à des savoirs techniques mais également, et de façon au moins aussi importante, à des aptitudes et des capacités autres qui ont à être mobilisées dans des contextes de risque de préjudice pour le client mais aussi pour la société. Ainsi exposée l’éthique professionnelle doit répondre à l’attente que le client est en droit d’attendre du professionnel. C’est ce que devrait faire le professionnel avec ou sans les prescriptions et les contraintes déontologiques.

Comme nous l’avons soulevé précédemment, la déontologie a pris le devant sur l’éthique professionnelle dans la société contemporaine car les professions ont subi des modifications pour répondre aux attentes d’une clientèle de plus en plus nombreux, aux besoins diversifiés et dont les connaissances et donc les exigences sont supérieures. Cette prééminence des principes déontologiques est de plus en plus critiquée puisqu’elle ne satisfait pas le public dans le contexte actuel ou l’idée même de profession est très floue. C’est pourquoi de plus en plus on assiste à des volontés d’établir une éthique professionnelle au détriment d’un code déontologique ou réglementaire. Cela suppose une discussion qui a pour finalité la satisfaction personnelle du travail bien accompli. De la discussion doit naître une identité commune dans laquelle se retrouve tous les participants et qui est basée sur les pièces angulaires de l’éthique soulevé par Pierre Fortin et Pierre-Paul Parent dans l’œuvre « le souci éthique dans les pratiques professionnelles » à savoir le « souci de soi », « le souci de l’autre » et « souci de l’organisation ». Sous cet angle, l’éthique professionnelle devient la seule voie qui favorise l’épanouissement de tout corps de métier puisqu’elle favorise et encourage l’harmonie entre les valeurs individuelles des professionnels et les valeurs qu’exige la profession en tant qu’entité.

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L’autisme: reflexion sur les implications de l’utilisation de la couverture proprioceptive telle que recommandée par l’Ordre des Ergothérapeutes du Québec. Le cas de Luc

Ce travail consiste à formuler une argumentation complète permettant la justification ou la non justification de l’utilisation de la couverture proprioceptive, telle que recommandée par l’OEQ (l’ordre des Ergothérapeutes du Québec). Cette recommandation a été  reprise et modifiée par un centre de résidents autistes pour en faire un règlement. c’est sur ce nouveau règlement que porte notre réflexion. Il importe dans un premier temps de revenir brièvement sur les faits. Luc est un jeune autiste, sans déficience intellectuelle de 25 ans qui vit en résidence. La santé de ses parents devenant de plus en plus précaire rendait difficile voire impossible la gestion de ses crises de désorganisation. Mis à part ces crises de désorganisation épisodiques, Luc a une bonne capacité intellectuelle, une bonne capacité d’adaptation dans son milieu de travail, et une capacité de faire des choix même s’il manque d’argumentations parfois pour justifier ses choix. Il a en fait un degré d’autonomie limité par ses troubles de comportements pour être plus simple. Il ne peut cependant pas être maintenu sous une médication permanente à cause de ses allergies, et c’est pour pallier cette situation qu’il utilise une couverture proprioceptive qui le soulage dans ses crises. Il a appris l’utilisation en famille, il l’a dans sa chambre et l’utilise à souhait, une pratique qui s’est poursuivit dans la résidence.

L’utilisation de la couverture proprioceptive n’est pas sans danger pour la vie de celui qui l’utilise d’où la nécessite d’une supervision. En effet à cause de son poids et surtout de l’état mental de celui qui l’utilise, puisque l’utilisateur le fait en période de crise, cette couverture peut l’étouffer. Face à cette situation, l’ordre des ergothérapeutes du Québec a défini un cadre d’utilisation afin de sécuriser la pratique. Dans ce même souci de sécurité, l’institution dans laquelle réside Luc a émis un règlement concernant l’utilisation de la couverture proprioceptive. Ce règlement voudrait désormais que l’utilisation de couverture se fasse sous supervision pour une période ne dépassant pas 20mn. Elle sera retirée à son utilisateur à la fin de cette période et rangée, en cas de crise, elle lui sera remise suivant le même protocole. Cette situation que crée le règlement pose un dilemme dans le cas de Luc qui est habitué a avoir la couverture dans sa chambre à l’utiliser sans supervision dans ces moments de crises. Aussi se pose la question de savoir si l’on devrait appliquer l’utilisation de la couverture selon le plan d’intervention actuel qui donne une grande autonomie d’utilisation ou de suivre le nouveau règlement qui soumet cette utilisation à une supervision.

L’utilisation que fait Luc de la couverture semble ne lui présenter aucun danger même s’il le fait dans ses moments de crises. Cette utilisation a été acquise par apprentissage depuis le milieu familial et l’on pourrait supposer qu’il le fait en homme prudent et avisé, de plus, appliquer le nouveau règlement entraînera une nouvelle situation pour tous les acteurs qu’il affecte. Pour l’ordre des ergothérapeutes, le nouveau règlement ne vient que consolider le souci de sécurité des résidents, mais pour l’institution, on voit le souci de sécurité et le souci de se conformer à l’avis de l’ordre. Mais pour Luc, il y a un risque réel de déstabilisation, d’abandon d’une connaissance ou d’une manière de faire acquise avec le temps. On ne peut dire sans certitude que ce nouvel apprentissage sera sans conséquences sur son comportement et qu’il ne peut créer de nouveaux troubles de comportements.  Ce risque bien réel si nous l’admettons doit aussi nous insister à voir la possibilité que les conséquences de l’application du règlement pour Luc peut entraîner un effet domino pour les autres résidents qui pourrait bien être affectés par les crises de ce derniers. En effet, le comportement de Luc peut influencer celui des autres résidents. Toujours dans cette hypothèse, une mauvaise humeur de tous les résidents revient hanter les intervenants par une pénibilité accrue de leurs taches quotidiennes, il reviendrait alors à l’institution de trouver des ressources supplémentaires pour remédier à cette tâche supplémentaire dont la source est l’application de son règlement. Nous voyons donc que l’application de ce règlement, loin de changer seulement les habitudes de Luc, affecte tous les acteurs et même ses parents qui pourront en souffrir lors de leur visite. Est-il donc nécessaire de modifier la qualité de vie de Luc au détriment de la sécurité que veut le règlement ?

Dans le cas d’espèce, les valeurs d’épanouissement et de bien-être qui regroupent ici la dignité, l’autonomie, le développement, l’intégration sociale et la reconnaissance du potentiel humain sont confrontés aux valeurs qui prônent la sécurité et la protection de la vie. Il nous revient donc de voir s’il faut continuer l’ancienne pratique avec le risque potentiel que Luc pourrait mettre sa vie en danger mais exerçant sa dignité d’homme libre, autonome et épanouis, ou suivre le règlement qui élimine ce risque pour sa vie tout en le confinant dans le rôle d’éternel supervisé sans possibilité d’affirmation de son plein potentiel. À première vue, on est tenté de voir dans le cas qui nous est soumis, un dilemme sur les valeurs, mais une analyse plus poussée nous montre le contraire. Il ne s’agit pas de voir ici que la protection de la vie est plus importante que l’autonomie de Luc, puisque dans tous les cas, personne ne conteste pas l’utilisation de la couverture proprioceptive. Le problème ici est de savoir si l’application de la norme est plus souhaitable que le jugement du professionnel. Entendons ici que le professionnel juge de la nécessité de la surveillance du patient quant à l’utilisation de la couverture et dans le cas de Luc il n’y a pas lieu de le surveiller.

La motivation première du règlement est sa conformité à l’avis émis par l’ordre des ergothérapeutes du Québec, qui se situait dans la logique de l’application de la couverture sur les enfants, son souci d’encadrement premier était la sécurité des patients. il faut rappeler ici que l’ordre a pris cette décision sur recommandation du coroner. En effet, le 20 mai 2008, Catherine Rudel-Tessier coroner, déposait son rapport sur les causes et les circonstances du décès le 18 avril 2008 d’un enfant de 9 ans. Selon ledit rapport, l’enfant est « mort étouffé sous une couverture proprioceptive dans laquelle il avait été roulé par son professeur, à l’école spécialisée qu’il fréquentait ». L’enfant selon ce rapport aurait été laissé sans surveillance, enroulé dans une couverture, alors qu’il faisait une crise, pendant une vingtaine de minutes. Il semblait clair que les directives émises par l’ergothérapeute pour l’utilisation sécuritaire de la couverture proprioceptive n’ont pas été suivies par l’école spécialisée. Cette mort d’enfant aurait pu être évitée  s’il était sous surveillance constate le coroner. Elle recommande donc  à l’Ordre des ergothérapeutes du Québec (OEQ) de donner des directives claires à ses membres sur l’emploi de telles couvertures d’où ce règlement.

Il faut donc voir que l’institution n’a pas fait un examen approfondi de l’avis avant d’émettre son règlement. En voulant généraliser un cas particulier, il a sombré dans l’impraticabilité de son règlement. Nous somme d’accord avec l’esprit de la norme qui est guidé par le souci de sécurité mais en désaccord avec la lettre de cette norme. Il nous semble difficile d’appliquer de la même manière la couverture à tous les résidents. Les conditions physiques, l’âge, les antécédents médicaux sont autant de facteurs qui font que cette utilisation relève du cas par cas et soumise au jugement du professionnel. Par exemple si Luc était épileptique, il serait peut-être plus sage d’utiliser la couverture comme le veut le règlement.

Pour nous, la créativité professionnelle est de loin préférable au respect de la norme dans le cas qui nous est soumis. Il faut cependant souligner que cela ne voudrait en aucun cas dire que toutes les normes n’ont pas lieu d’être ou même que cette norme en particulier est inutile. La norme en question est très bien applicable et devrait être suivi dans certains cas notamment dans le cas des enfants. Ce que nous voulons dire est que son application cause plus de problèmes que de satisfactions dans le cas de Luc. Le problème ici n’est donc pas le rejet de la norme, mais son application dans le cas de Luc. La préséance doit être accordé au jugement professionnel qui, évaluant les risques objectifs de la situation estime quand même que Luc est en mesure d’utiliser sa couverture sans que cela ne lui présente un danger.

Nous avons été plus conséquentialiste que déontologiste et cela fait du sens. Luc semble très bien utiliser la couverture sans aide et en tire un bénéfice certain ; lui enlever cette aptitude qu’il a acquis après un long apprentissage, c’est lui fait plus de mal que de bien surtout que nous ne pouvons pas prédire sans l’ombre d’un doute, que cette nouvelle manière de faire ne va pas entraîner des crises et une recrudescence de sa maladie. L’autonomie, la dignité et l’épanouissement personnels sont pour nous plus important que la sécurité dans le cas présent. Le risque sécuritaire même s’il ne peut être écarté est objectivement nul à cause de sa longue pratique. Luc conserve sa capacité de fonctionner et de se réaliser malgré sa condition. Nous estimons que ce désir  et cette capacité  malgré sa condition, à vouloir s’affranchir de toute dépendance est en soi louable et lui permet de se donner un sens dans la vie, cet effort devrait être encouragé ce que ne fait pas le nouveau règlement.

Comme nous l’avons dit le règlement se base sur un avis dont la nécessite s’est avérée avec le décès d’un enfant de 9 ans. Suivant les recommandations du coroner, l’avis propose une prudence  dans l’utilisation de la couverture proprioceptive chez les enfants. Cet avis ne fait donc pas la distinction entre un enfant et un adulte, on peut alors se demander s’il est objectif de conclure que parce qu’elle constitue un risque pour un enfant de 9ans, elle le constitue pour un adulte de 25 ans. On remarque aussi que l’avis, parmi les 17 points de recommandation qu’elle émet, seul un point est assorti d’un impératif, ce qui constitue l’obligation absolue « la couverture ne doit être utilisée comme une mesure de contention. L’enfant doit toujours être capable de s’en dégager par lui-même » l’avis a fait preuve de son soucis de sécurité dans le cas des enfants, le règlement n’avait donc pas à étendre ce souci de sécurité sur le cas des adultes présentant une condition similaire à celle de Luc. Ce que nous déplorons dans l’avis c’est le manque d’expérimentation et de recherches sur l’utilisation de la couverture. Il aurait peut-être fallu faire des recherches afin de démontrer le risque objectif que présente son utilisation tant sur les enfants que sur les adultes. Notre souci n’est pas de rejeter le règlement ni les valeurs de l’intégrité physique et de la sécurité que soulève l’avis ; nous estimons seulement que dans le cas de Luc, le risque objectif pour sa sécurité est insignifiant. En l’absence de toute recherches qui viennent prouver le contraire son épanouissement doit être mis en priorité.

Pour nous il n’est pas question de revoir l’avis de l’ordre puisqu’il s’apparente à un avis général sécuritaire, le règlement en revanche, doit être revu, pour qu’il accorde plus de place au jugement professionnel. En effet, l’intervenant connaît son patient mieux que quiconque et sait par sa formation si un tel peut s’affranchir de supervision dans l’utilisation de la couverture proprioceptive. Notre recommandation serait de valoriser l’aspect de responsabilité  soulever dans la conclusion de l’avis de l’OEQ « … Par la suite chaque intervenant ou professionnel devient lui-même responsable de sa prise de décision et de l’utilisation de la couverture proprioceptive ». Au lieu d’en faire une règle rigide générale et impersonnelle, il serait souhaitable de  retenir le fait que tous les patients n’ont pas les mêmes aptitudes, ni la même autonomie, ni même les mêmes degrés de crise comportementale. Un règlement qui permet à l’intervenant d’adapter l’utilisation de la couverture selon les aptitudes du patient tout en engageant sa responsabilité professionnelle dans le choix serait pour nous le meilleur.

Voir l’avis de l’OEQ sur l’utilisation des couvertures proprioceptives  ci-dessous

http://www.oeq.org/userfiles/File/Publications/Doc_professionnels/Avis_Couvertures_proprioceptives_Avril2009.pdf

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Reflexion sur le rapport présenté au Commissaire de la Santé et du Bien Etre (Québec) sur le dépistage du syndrome de Down.

Le rapport présenté au Commissaire de la Santé et du Bien Etre (Québec) sur le dépistage du syndrome de Down soulève plus questions éthiques qu’il ne paraît. Nous essayerons de comprendre pourquoi le gouvernement a privilégié le choix de la Trisomie 21 ( qui pourtant représente seulement 1,3 pour 1000 naissances) au détriment d’autres anomalies génétiques prénatales. L’un des aboutissements du dépistage étant l’avortement du fœtus susceptible d’être atteint par cette condition, une question éthique d’importance se pose donc à la société: qu’est ce qui doit motiver le consentement de la femme enceinte ou du couple, dans l’acceptation ou le refus du test? La mise à mort d’un être en devenir pour cause d’imperfection génétique, est la finalité du dépistage, alors quel est genre d’humain la société veut-elle promouvoir ? qu’est ce qu’on fait des cas de trisomiques existants ?
La naissance d’un enfant est un projet que tout couple aimerait voir se réaliser le plus parfaitement possible, singulariser le dépistage de la trisomie 21 et le généraliser à toutes les femmes enceintes ne pourrait que montrer le souci de l’autorité de la santé publique d’aider ces femmes dans la réalisation ce projet. Mais aussi, singulariser ce dépistage parmi la pléthore de maladies génétiques prénatales dépistables pose une autre question, celle de l’eugénisme étatique. Le rôle du ministère de la santé publique est de mettre en place une politique de santé qui améliore la qualité de vie des citoyens. Est ce qu’on peut dans ce rôle, suggérer ou même contraindre la société à définir un type d’humain que l’on croit meilleur ou supérieur ? En d’autres termes est ce que la santé publique doit définir par son rôle le genre d’homme que doit contenir la société? La question est d’autant plus importante que le dépistage en question n’entraîne ni de prévention, ni de traitement, on se retrouve face au choix de mettre fin à la grossesse ou de laisser le projet continuer. Le dépistage même n’est pas fiable et il faut, face à cette incertitude faire l’aminocentese avec le risque même de perdre le fœtus suspecté pour s’assurer de la fiabilité des résultats ( le niveau de risque : moins de 1%). Il n’y a pas urgence en la matière surtout que 9 sur 10 enfants trisomiques vivent dans leur famille et que tout se passe généralement bien. Cette motivation semble prendre sa source dans une conjugaison de deux facteurs. Le premier est que les soins relatifs aux enfants trisomiques semblent coûteux et une réduction des coûts passe par la réduction sinon suppression des naissances d’enfants trisomiques. Le deuxième facteur est une conséquence du premier. Les personnes trisomiques représentent un poids financier à la société dans sa globalité car ils sont improductifs et doivent être assistées financièrement. Le dépistage de la trisomie 21 n’est alors qu’un prélude à un eugénisme étatique.
Au-delà de ce dépistage nous devons voir aussi la conception de l’idéal humain que notre société recherche. De plus en plus notre société fait l’éloge de la performance au détriment de l’idéal des valeurs. L’intelligence, la réussite sociale, et le physique parfait supplantent l’amour, la compassion et le handicap. Dans cette logique, voir naître un enfant trisomique est un événement qui rend perplexe puisque ses chances d’atteindre les aspirations de la société sont presque nulles. Nous disons que la problématique est plutôt de réfléchir sur les valeurs que nous voulons promouvoir en tant que société. Maintenant que le dépistage existe, devrions-nous voir en la naissance d’un enfant trisomique un choix libre et éclairé de la part de ses parents ou une erreur de jugement grave et coupable. Nous pensons qu’il faut aller au-delà de la trisomie pour voir ce que pense la société sur les critères d’humain acceptable.
Le choix véritable soumis aux couples qui font face à la probabilité d’enfanter un enfant trisomique est: voulez-vous être soumis au regard réprobateur de la société ou la compassion de celle-ci ? Regard réprobateur et inquisiteur de la société parce que le test existe, vous le saviez pertinemment, c’est donc votre faute si vous vous retrouvez cette situation. La compassion de la société dans le sens où c’est un projet de vie à laquelle vous aviez tout donné, mais la nature a opté pour quelque chose qui n’est ni prévu, ni viable, elle fait si mal les choses des fois, et l’on vous comprend, ce n’est pas de votre faute. Ces situations illustrent le vrai dilemme de la femme enceinte. Comment peut on alors parler de consentement libre et éclairé si dans les deux cas le choix est conditionné aux regards de la société. Juridiquement, le consentement est libre et éclairé du moment où la personne a toute les informations justes et équitables et sans équivoque lui permettant de faire un choix sans entrave, le cas présent montre les limites que peuvent constituer la pression sociétale.
Nous savons tous que la technologie a pour but de rendre notre vie meilleure, et le dépistage de la trisomie 21 adhère à ce but. L’enjeu ici n’est pas de savoir si on veut un enfant “parfait” ou tout simplement “normal” car cela va de soi, mais de voir si on a tout ce qu’il faut pour désirer un enfant quelles que soient ses imperfections (Ici je me refuse d’envisager que des parents ne se sentent tout simplement pas incapables de vivre avec un enfant trisomique. mais je reviendrai sur cette position et sa problématique dans une autre partie). Le consentement, est-il assez éclairé et dénué de toute pression pour permettre un choix libre et sans équivoque ? Cela revient alors à voir dans le dépistage un acte banal par lequel on se prépare soit, à accueillir un enfant en parfaite santé soit on commence à réunir les conditions pour rendre le plus agréable possible la naissance et la vie d’un enfant trisomique.

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« la conduite d’une vie et le moment du bien »

Charles Taylor dans son texte « la conduite d’une vie et le moment du bien » nous parle de la nature du bien dans le monde contemporain multiculturel ou plusieurs conceptions éthiques de cultures et de civilisations différentes s’affrontent. Dans tous ces biens différents, qui se présentent à nous comment faire le meilleur des choix? en d’autres termes comment vivre la diversité des biens dans l’unicité de vivre sa vie? l’auteur explique d’abord comment dans le monde philosophique la théorie kantienne sur le bien et celle de l’utilitarisme bien qu’opposé essaient d’expliquer et de proposer la nature du bien dans ce monde de diversité. Il commence par une critique de ces deux théories puisque pour lui, elles nient la diversité du bien. Pour la première, c’est-à-dire la théorie Kantienne et ses dérivés, nous devons évaluer les différentes actions qui se présentent à nous sous l’angle strict de la loi morale. Pour la seconde, l’action se résume à la satisfaction du plus grand bonheur au plus grand nombre. Charles Taylor estime qu’on ne peut plus nier le problème de la diversité dans notre société, par conséquent on doit essayer de trouver une solution au problème de l’unité du bien. Cet essai à donc pour but d’une part de montrer que le problème existe et d’autre part apporter une solution. Cette solution, l’auteur l’apporte en faisant de toute analyse une recherche de la diversité des biens dans notre vie morale, il défend ainsi une approche qui prend en compte dans le raisonnement moral la diversité et en même temps l’aspiration à l’unité. En clair, toute réflexion dans ce sens doit prendre en compte deux choses. La reconnaissance que dans notre société, il existe un pluralisme de cultures et donc une multiplicité de concepts du bien qui peuvent s’affronter mais aussi la reconnaissance de l’aspiration de cette société pour un bien unique.

La démonstration même de l’insuffisance des théories kantiennes et utilitaristes à choisir l’action qui aura les meilleures conséquences, pousse l’auteur vers la recherche d’une troisième voie. Aujourd’hui, la morale de notre société se résume à la justice et à la bienveillance ce qui fait du mal une atteinte aux droits d’autrui. Le mal ne se rapporte plus à soi, mais l’autre, donnant ainsi à la morale, le sens d’un devoir envers autrui. L’importance des théories Kantiennes dans la philosophie morale,vient du fait qu’elles donnent une idée bien claire de la notion du bien et du juste; ce faisant, ces théories ramènent certaines aspirations au rang personnel et les vident de leur caractère obligatoire. Commençons une réflexion sur notre vie morale et ses limites s’envolent, car ultimement, on revient toujours à la recherche de ces vertus dans lesquelles nous nous retrouvons. Ces actions et ces modes d’être qui définissent ce qu’est une vie bonne pour nous, c’est ce que l’auteur appelle les « biens de vie ». Les « biens constitutifs » quant à eux seraient issus de notre relation avec un pouvoir supérieur, et l’auteur d’affirmer que ces deux types de biens doivent êtres maintenus en équilibre; les premiers donnant un sens à la vie bonne et les deuxièmes la conviction que ceci est vraiment la vie bonne. D’un autre coté, les utilitaristes accordent une importance à notre sens de la vie en commun et la bienveillance envers autrui, mais ils laissent peu de place à notre accomplissement personnel. Des valeurs comme l’amour, la sensibilité, l’intégrité ne sont prises en compte à moins qu’elles ne servent de moyen à la bienveillance. De plus l’utilitarisme repose sur une mesure des actions, or on ne peut pas non plus s’adonner à une priorité systématique; c’est-à-dire satisfaire en priorité certaines exigences jugées supérieures à d’autres considérées inférieures car dans l’absolu toutes ces exigences se valent. Celles qui peuvent paraître de moralité moindre dans une situation donnée peuvent s’avérer être d’une grande importance dans une autre situation. Plus proche d’Aristote, Charles Taylor redéfini la notion pratique d’une vie car il ne s’agit pas en fait de juger du caractère singulier d’une action ni de poser des actes justes isolés mais de vivre pleinement. Et vivre pleinement suppose un changement, une évolution dans nos concepts. Une action bonne suppose aussi où nous en sommes à une période spécifique de notre vie et qu’en cette période nous estimons que faire ceci plutôt que cela semble être en conformité avec ce que nous avons rationnellement comme idée et conviction du bien. Nous disposons de plusieurs ressources dont le pouvoir d’articulation du bien et de l’idée même que notre vie forme un ensemble dans lequel différents biens se combinent à différents moments et dans différentes situations, ce que semble ignorer la philosophie contemporaine quand elle nie ou parle de la difficulté de faire un choix quand différents biens se présentent à nous.

Certes, la vie morale d’un homme ne se résume pas à un choix perpétuel entre ce qui est bien et ce qui est moins bien comme le dit l’auteur mais peu importe le cheminement utilise dans la détermination d’un bien, on en revient toujours à l’action qui nous procure le plus du bonheur. Dans l’exemple de Priscilla, l’auteur nous montre plusieurs solutions possibles et la réflexion que cette dernière fait en vue de déterminer ce qui est selon elle le bien. Ces réflexions nous pouvons dire, conduit à ce qui procure le plus de bonheur à Priscilla dans son cas présent. Je veux dire ici que son choix en définitive est déterminé par ce qui devrait lui procurer le plus de bonheur dans cette période spécifique de sa vie quand elle aura fait son analyse en prenant comme repère les notions même de justice et de bienveillance. Il est important de voir que vivre pleinement suppose une recherche de bonheur, alors devant plusieurs situations celle qui procure le plus grand bien ou à l’opposé le moindre mal est le choix rationnel à faire. On peut évidemment parler du fait que l’idée même du bien évolue dans notre vie et change suivant les situations, mais il n’en demeure pas moins que le moment du bien est celui du choix de ce bien que l’on pense accorde plus de joie, plus d’épanouissement et cela dans le moment précis de notre vie. Dans nos sociétés ou diverses cultures cohabitent, il est difficile de trouver un consensus sur le bien. C’est ce que semble corriger le triomphe des questions de justice et de bienveillance dans les réflexions sur la morale. Le consensus sur le bien étant quasiment impossible, la morale sociétaire a admis en son sein des notions claires qui définissent la nature de ce qui serait bon ou mauvais afin de rendre possible la vie en commun. Que la morale soit réduite à la bienveillance et à la justice n’est pas en soit un concept nouveau puisque la morale n’a jamais été si loin de la justice. Que l’on assiste à une morale qui tende au devoir envers autrui, est certainement le prix à payer pour le vouloir vivre ensemble qui suppose une pensée d’un bien unique. L’irrationalité ici serait de vouloir quelque chose et en même temps son contraire, le fait de vouloir vivre ensemble suppose que nous acceptons dégager le plus clairement possible de nos diversités un idéal commun à atteindre, une ligne commune de conduite et une idée commune du bien. Nous ne pouvons donc pas vouloir vivre en commun et vouloir dans le même temps s’accrocher à nos spécificités. En d’autres termes, nous définissons des limites précises de que nous pouvons appeler bien ou mal dans une situation donnée. Mais cela est de la morale collective maintenant, nous devons dans nos actions individuelles trouver une certaine conformité avec la morale collective. Lorsqu’il s’agit de faire un choix entre différents biens qui se présentent à nous, ou lorsqu’il s’agit d’arbitrer les conceptions éthiques issues de cultures ou de civilisations différentes, la ligne commune basée sur la justice et la bienveillance nous sert déjà de balises. Le seul véritable choix pour nous sera en fait dictée pas notre souci du plus grand bonheur.

Nous pouvons en conclusion affirmer que le problème soulevé par Charles Taylor à savoir comment équilibrer la diversité des biens par celle de l’unité d’une vie est d’une importance cruciale; il montre les insuffisances de certaines théories par la non-reconnaissance de ce problème. Comme il le dit, nous disposons de potentiels énormes pour nous aider à faire ce choix, des potentiels qui sont ignorés justement par la philosophie morale contemporaine. Pour nous, si le problème de choix est bien réel, celui de la prise en considération de ces potentiels devant ce choix n’est pas nécessaire; car notre action revient toujours à celle qui nous procure le plus grand bien dans une conformité avec une morale collective qui elle n’a que justice et bienveillance comme repères.

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