la morale de Nietzsche

Pour Nietzsche, la morale se définit comme l’ensemble des mœurs communément admises, c’est la conformité aux choses qui sont bonnes ou jugées bonnes. L’on ne peut et l’on ne doit questionner la morale puisque par essence, elle est jugée bonne et tout homme aspire à faire le bien. Mais en rendant la morale libre de toutes critiques, elle réduit l’homme de sa puissance créatrice et l’empêche de s’affranchir, de vivre cette vie qui doit être la sienne et qui est celle de créer. La morale est donc au-dessus de tout et c’est ce qui la rend en fait questionnable selon Nietzsche. Comme il le dit si bien dans l’introduction de son essai, « il faut commencer par mettre en question la valeur même de ses valeurs » Généalogie de la morale introduction 6. Qu’est ce que c’est que cette morale que l’on ne peut questionner?  Pour lui ce qui compte en premier c’est la liberté de pensée, la liberté de questionner tout y compris le moral elle-même. La morale ne permettant pas dans une large mesure de questionner ce qu’elle juge bon, Nietzsche en conclura que pour vivre bien il faudrait que l’homme vive par-delà le bien et le mal. Il rejette ainsi les critères traditionnels du bien et du mal, et voit dans le monde deux types de personnes: les faibles (les esclaves), dont la morale est le résultat d’un ressentiment et dont les valeurs suprêmes sont la pitié, l’humilité le pardon et l’altruisme. Ces valeurs conduisent sans aucun doute à une dépréciation de soi, l’esclave a peur de vivre pleinement car vivre pleinement implique une liberté de penser et une affirmation de soi. En revanche, la morale des forts (maîtres) procède d’une affirmation de soi et consiste à la glorification de la vie, en d’autres termes ils sont des créateurs et ils agissent dans le monde.

Il faut voir que le philosophe à l’opposé de Kierkegaard qui proposait un christianisme authentique et une morale individuelle ne propose rien.  Nietzsche part du fait que la religion, du moins celle luthérienne est l’apanage des gens qui ne sont pas capables de concevoir pour eux-mêmes comment vivre et font de Dieu garant de la morale. Pour lui Dieu est mort, « en vérité, en vérité je vous le dis ce Dieu n’a été que votre plus grand malheur, vous êtes sauvés que depuis qu’il gît dans sa tombe, Dieu est mort… » Ainsi parlait Zarathoustra. Dieu comme législateur de la morale occidentale est mort, il n’existe plus. La mort du Dieu législateur de la morale occidentale entraîne une réorganisation; la morale n’existe plus mais il y a la vie, la vie qui est en nous. Cette vie symbolisée par Dionysus (dieu du vin et de la fécondité dans la mythologie grecque) n’est rien d’autre que pulsion, désir, orgueil, violence et sensualité. Ce n’est pas une vie de raison, mais de pulsion. La question qui revient est donc si l’on est prêt à assumer la vie qui est en nous. Cette vie dont il parle est la volonté de puissance (traduction qui n’est pas très correcte car en allemand, le terme: « will zur mach » signifierait plutôt volonté vers la puissance). La vie est volonté vers la puissance, c’est l’essence de l’être; c’est elle qui fait mouvoir l’être. C’est une force qui pousse à être, une pulsion féroce qui met l’être face au choix de se surpasser ou de renoncer à ce dépassement de soi. L’homme moral est celui qui assume la tâche d’affronter cette pulsion et qui finit par la maîtriser, cette maîtrise fait de lui un noble, un maître, un surhomme qui vit pleinement sa vie et qui se moque du bien et du mal car ce qui compte c’est la réalisation de soi, la liberté et l’affirmation de soi. Au contraire le faible ou l’esclave qui continue à croire en Dieu et à sa morale et se dérobe de cette volonté de puissance. Il fait partie du troupeau et est incapable de vivre pleinement, de surpasser cette pulsion qu’il refoule pour finalement se perdre dans les attitudes de dénégations défensives en refusant par la même d’accepter les conditions fondamentales de la vie. Il choisit la volonté du néant.

Remarquons que pour Nietzsche, le christianisme a ramolli l’homme en lui miroitant une récompense dans un au-delà qui est inexistant, un néant. C’est ce nihilisme qu’il faut combattre, car L’homme ne croit plus en ces vertus qui sont nées d’un long exercice de préjugées conventionnelles. Au départ et comme le dit Nietzsche, « la vie se fiche de la morale ». Au-delà des valeurs chrétiennes, les bases Kantiennes de la connaissance, de même que le rationalisme scientifique n’a aucun sens car les idées demeurent avant tout des idées et sont incapables de changer le monde; la vie à montrer que la volonté a toujours le dessus sur la raison et la connaissance. Ce n’est ni la vertu, ni la vérité qui anime l’homme mais la pulsion du vouloir vivre. La religion en voulant instaurer l’inverse n’a fait que confiner l’homme dans « une morale d’esclave ». L’homme, pour bien vivre doit se réaliser et ainsi devenir un surhomme. La finalité morale de l’homme, le but à atteindre pour tout être c’est devenir selon Nietzsche un surhomme, Il affirme donc que « l’homme est une corde tendue entre la bête et le surhomme ». C’est être celui qui est capable de créer ces propres valeurs, qui a la force d’accepter la vie concrète, la vie telle qu’elle est, une vie dénuée de tous les artifices sans sombrer dans les attraits d’un au-delà semblable à un arrière monde invisible et éternel. Le surhomme, c’est justement celui qui transcende la réalité factuelle grâce à une force créatrice sans cesse renouveler. C’est celui qui fait avec le désespoir le plus profond, l’espoir le plus invincible; pour lui la quête de la vérité devient une tache sans fin, puisque la vérité réside elle-même dans l’acte de dépasser toute prétendue vérité. Il n’y a aucune croyance, aucun dogme, aucune certitude, si ce n’est le dépassement de soi. Le surhomme est un homme libre, cette liberté signifie que les instincts virils prédominent sur tous les autres même sur ceux du bonheur « L’homme devenu libre, combien plus encore l’esprit devenu libre, foule aux pieds cette forme méprisable de bien-être dont rêvent les épiciers, les chrétiens, les vaches, les femmes, les Anglais et d’autres démocrates. La morale chrétienne doit être remplacée par l’Amor fati ou l’amour du destin, le consentement au monde tel qu’il est, c’est l’attitude du surhomme. L’Amor fati, c’est : « vis comme si dans tout ce que tu veux faire, tu veuilles le faire un nombre infini de fois » le monde ne parviendra jamais à son point d’équilibre et  se déroulera toujours sur lui même en un éternel retour. Cet éternel retour est cette vie qui est inlassable et qui reviendra toujours. Notre action est morale lorsque cette action est telle que l’on consentirait à la répéter indéfiniment.

Nietzsche définit ainsi une morale d’élite, Dieu est mort emportant avec lui le bien et le mal, les forts l’ont compris et tendent vers le surhomme, les faibles vont continuer à croire en Dieu c’est la logique de la vie. Le but premier du surhomme n’est pas la domination du troupeau, cependant dans le développement de sa puissance, il va attirer dans son sillage le troupeau ou peut être même l’exploiter, mais cela aussi fait partie de la logique de la vie. L’éthique qu’il propose se retrouve chez les présocratiques qui étaient selon lui créateurs de valeurs, ils étaient capables de supporter la vie et avancer sans égard au troupeau. C’est une approche très critique de la morale et de ses fondements qui évidemment se prête à des critiques.

             Ce que nous propose Nietzsche c’est une morale des forts pas toujours au détriment des faibles mais la possibilité même que le fort écrase le faible existe et ne l’effraie pas du tout. Il est sans considération pour ceux qu’il appelle le troupeau, alors que ces derniers représentent la majorité de la société. Du point de vue de la volonté de puissance, le faible est donc celui qu’on peut mépriser, ou maltraiter bref celui qu’on peut considérer comme étant inférieur et faire souffrir car « voir souffrir fait du bien faire souffrir encore plus de bien. » Généalogie de la morale dissertation 2. Est ce qu’une volonté de puissance sans considération de la vie est normale? nous pensons que la vie est à respecter même si on l’assimile à la volonté de puissance ou autre chose, on ne peut sous prétexte d’une force ou d’un élitisme, détruire une autre vie. Cette volonté de puissance implique qu’il n’y a pas de valeurs universelles. Qu’il n’y a de valeur ou de force qui s’impose sans que d’autres valeurs ou forces ne soient détruites, vaincues ou anéanties, ne doit être qu’une conception étriquée, égoïste et dangereuse. On ne peut ne pas constater l’universalité de certaines valeurs liées à la vie. Le faible peut l’être ou le devenir par suite de maladie ou autres aléas que l’existence donne. Est –il donc faible et par conséquent méprisable, celui qui a une maladie neurologique l’empêchant de vivre pleinement? cette manière de voir les choses même si on peut penser que ce n’est pas le but primordial du surhomme ouvrent la porte à beaucoup de groupuscules qui prônent une certaine domination dans la société. Il soulève ainsi la question de savoir si les nazi ou les négriers étaient en droit de mépriser les juifs ou les noirs.

Il se pourrait en effet que l’être ne soit pas juste faible par paresse ou par destin, mais intérieurement faible. Je veux  ici parler d’un enfant, qui même s’il est destiné à devenir un surhomme, a besoin du temps pour développer cette vitalité qui doit le propulser à mordre dans la vie. Alors qu’advient-il quand son intérêt croise celui d’un surhomme égoïste accompli ? Le triste constat est que Nietzsche ne prévoit pas une exception dans la faiblesse, cependant la faiblesse humaine, celle de l’enfant, est telle qu’elle a besoin d’être universellement protégée. Il y a des valeurs universelles dans la vie, il y a des valeurs qui sont nécessaires pour la vie en société et pour la pérennité de notre civilisation. On ne peut renier ces valeurs de compassion, de pitié sans transformer la société en une jungle ou le plus fort triomphera. Nietzsche se pose en successeur de Dionysos pour s’attaquer à Socrate ou tout au moins aux valeurs qu’il a engendrées et au christ dont les enseignements constituent la base de la morale chrétienne. Mais comme il le dit, lui-même croit en la vie, d’autre part on peut voir dans l’évangile selon Saint Jean que jésus affirme, «  je suis le chemin, la vérité et la vie » doit-on voir en Jésus un surhomme ? Si oui, cette hypothèse est intéressante du fait que Jésus toute sa vie a prôner, les valeurs de pitié, d’humilité, de charité etc. Sans toute fois sombrer dans une glorification de la morale chrétienne propre culte religieux et aux Chrétiens, on peut affirmer que Jésus avait tout d’un surhomme qui a entraîné dans son sillage un bon nombre de fidèles et qui s’est pleinement réalisé dans sa vie. Si une telle hypothèse est vraie alors la philosophie morale Nietzschéenne ne serait qu’un ressentiment du faible (l’auteur) qui est pris dans la spirale de renversement des valeurs. Nietzsche serait-il un faible qui essaie à travers sa philosophie morale de renverser les valeurs?

Francis Fukuyama dans la fin de l’histoire et le dernier homme disait qu’un « Un chien est heureux de dormir au soleil toute la journée, pourvu qu’il soit nourri, parce qu’il n’est pas insatisfait de ce qu’il est. Il ne se soucie pas de ce que d’autres chiens fassent mieux que lui, ou que sa carrière de chien soit restée stagnante. » Telle est peut-être une image d’un faible qui se prive de création, mais a-t-on besoin de créer ou de se surpasser, si l’on aspire à vivre une petite vie tranquille? Le fait même de conceptualiser et d’intégrer cette manière de vivre et de manifester ce désir de vie tranquille est en un sens une force. C’est justement ne pas être insatisfait, de ce que l’on est et de retenir ses pulsions qui poussent à la jalousie, à l’envie et autres, en un mot c’est se surpasser. Alors Pourquoi faudrait-il manifester une grandeur instinctive si l’on peut très bien vivre dans une tranquillité dans une petite vie tranquille ? certes nos pulsions nous poussent à la violence, à la conquête et autres désirs mais la religion pose des valeurs qui sont des freins à ses désirs sans quoi l’homme, même le surhomme finirait par ne plus exister puisqu’il aurait finalement détruit sa propre civilisation

             Nietzsche est un grand philosophe qui a eu une très grande influence sur le 20e siècle, et ses écrits sont toujours d’actualité. Cette actualité concerne surtout la philosophie continentale (Europe continentale), et ce sont les artistes,essayistes et romanciers qui sont les premiers à manifester de l’intérêt à sa pensée ( Khalil Gibran, André Gide, Thomas Mann et autres). Ces dernières années, de nouveaux philosophes qui, s’insurgeant contre l’idéologie de gauche ont tenté de glisser la pensée de Nietzsche dans un anti-humanisme barbare et condescendant. On l’a même accusé de nazisme, cependant une recherche studieuse et non partisane montre qu’il était loin du nazisme et qu’il dénonce même le ressentiment accumulé à l’égard des juifs chose assez rare pour son temps. Le professeur Louis Godbout a écrit dans son essai Nietzsche et la probité, que « ce n’est plus à l’objet de sa recherche qu’on doit juger le philosophe, mais à l’exigence interne de son questionnement. Le critère déterminant n’est plus la vérité ou la fausseté des thèses mais la vertu du penseur.» C’est une manière assez juste de voir l’œuvre et la vie de cet auteur caractérisé par une ambivalence. Il a une plume qui ne laisse pas indifférente, qui choque. Mais cet aphorisme n’est pas accidentel même si on juge de sa santé mentale. C’est plutôt une manière d’écrire qui choque par son caractère succinct et son autosuffisance et en cela il provoque d’autres pensées. C’est donc un guide qui ouvre la porte à d’autres car il ne prétend pas tout dire ni le tout sur un sujet, mais il dégage le champ à de nouvelles perceptions et d’autres considérations. Il se pose en chercheur de vérité, mais en même temps il se fait le plus virulent critique de cette notion. Il vit dans le modernisme et rêve d’un passé présocratique et le tout dans une lucidité qui choque. Cette contradiction est peut-être une manière d’exorciser sa tragédie intérieure, reflet d’une vie jalonnée de perte de personne et d’amitié. Mais à travers tout on verra en lui celui qui a montré que la crise de la morale (la morale chrétienne) n’est pas en soit la fin de la sagesse, ni l’avènement d’un chaos, mais le début d’une nouvelle réflexion. Il a influencé le mode pensé du 20e siècle et servi de tremplin à d’illustres penseurs comme Albert camus, Freud et autres.

Pour tout conclure on ne peut être que défenseur de la pensée de Nietzsche car en refusant l’idée d’une vérité de la morale, il renforce le doute méthodique si cher à Descartes, et ouvre à la science des voies jusque-là inexplorées. Il a le mérite de déterminer l’homme et ses pulsions préalablement à la morale et une généalogie de celle ci. Mais la morale peut empêcher une société de partir à la dérive pour ainsi finir dans l’horreur, si on laissait l’homme à ses pulsions. La morale reste une valeur qui évolue dans le temps et le bien d’aujourd’hui n’est nécessairement pas celle de demain, c’est cette évolution de la morale peu importe la manière donc elle survient qui est le moteur du développement humain et le garant de notre civilisation.

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