La culture de l’autre est elle inférieure à la mienne?

La culture est un des éléments caractéristiques d’une société ; elle est conçue comme un ensemble de savoirs et pratiques que se partage les habitants d’un groupe social, une connaissance qui se transmet socialement de génération en génération. La culture relève de l’acquis et n’est pas innée. Herbert Marcuse dans culture et société (page 311) donne une très bonne idée de ce qu’est la culture :  » la culture apparaissant ainsi comme l’ensemble des fins morales, esthétiques et intellectuelles (valeurs) qu’une société considère comme le but de l’organisation, de la division et de la direction de son travail, le « bien », auquel le mode de vie qu’elle a institué soit donner accès « . La culture étant propre à un groupe donné, il s’ensuit qu’il existe plusieurs cultures puisqu’il existe plusieurs groupes sociaux. Mais en même temps, que nos habitudes culturelles nous distinguent des autres, une difficulté apparaît, celle de l’acceptation des autres cultures. En effet, ces habitudes acquises à travers notre culture nous semblent si évidentes, si normales, si rationnelles qu’un comportement contraire à la nôtre nous semble irréfléchi voire intolérable. Ce comportement serait d’autant plus inacceptable que l’individu n’est pas de notre groupe social ; par extension c’est toute la société de ce dernier qui sera classée comme une société inculte. La culture qui apparaît comme un processus d’humanisation, car son aspiration première est l’épanouissement de l’humain, devient alors un processus de rejet de l’autre ou de déshumanisation.

Comprendre ce processus de déshumanisation qui aboutit dans sa forme extrême au rejet de l’autre et à son aliénation, revient à suivre l’évolution de la pensée éthique et du sujet éthique à travers l’histoire des sociétés. Le sujet éthique ici sera confondu par moments au sujet politique puisque la politique comme science de la cité n’est pas sans incidence sur l’éthique. En effet, si la culture est de l’ordre de ce qui est acquis et s’apparente au ciment qui relie les individus d’un groupe social donné, c’est la politique qui organise le cadre de fonctionnement de cette société. Elle devient donc l’expression de cette culture. Remarquons que la politique dans son sens premier n’est pas introvertie car elle détermine d’une part les rapports internes entre les membres de la cité et d’autre part les rapports externes de cette cité avec d’autres cités. Dans ses rapports avec les autres, la cité ou le groupe social s’exprime par sa culture et son identité. Il est ici nécessaire que nous insistons sur le fait que c’est la culture donne une identité au groupe social. Elle arrive en effet à posséder les individus en les modelant leurs comportements et leurs habitudes. En retour, ces identités individuelles ou ces habitudes culturelles se lient pour donner une identité collective au groupe social. C’est cette identité collective qui fait la particularité du groupe par rapport aux autres groupes. En clair l’individu définit son identité par la culture du groupe, et le groupe conditionne l’individu pour qu’il trouve un sens à ces habitudes ou ses comportements.

La culture n’est pas figée dans le temps, elle est évolutive. Dans l’Antiquité (Egypte, Rome, Grec), l’idée de dignité humaine telle que nous la connaissons aujourd’hui était niée. Cette dignité humaine était niée car la dignité s’acquiert, elle n’est pas innée et le seul fait d’être un homme ne vous donne pas droit directement à la dignité humaine. En chaque homme, il y avait un concept d’humanité qui est biologique et morphologique et un concept de dignité que seuls les nobles et les guerriers possédaient. Ainsi les esclaves n’avaient pas de dignité et donc pas de culture, on pourrait les obliger s’affronter jusqu’à la mort par le seul plaisir ou désir. Cette notion de dignité qui est la base de la reconnaissance de l’autre va faire du chemin. St Thomas d’Aquin va poser le principe de l’égalité de tous les hommes devant Dieu et ainsi affirmer que malgré les différences tous les hommes sont égaux et dignes devant Dieu. Remarquons alors que cette dignité n’est que devant Dieu et le puissant du jour, même s’il reconnaît que les esclaves ont désormais une dignité et donc certains droits, leur condition ne change pas vraiment. Ainsi les seigneurs au moyen-âge ont continué à exploiter les serfs qui n’étaient plus des esclaves, mais qui dans la réalité n’avaient une condition de vie tellement différente de celle des esclaves. La véritable révolution est venue de Hobbes Locke et plus tard Rousseau qui tous réclamèrent une société faite d’associés libres et égaux qui s’unissent dans une sorte de contrat social. Même s’il existe des différences substantielles entre le modèle de société qui découle de cette affirmation, Hobbes étant un positiviste et Rousseau qui accordait plus d’importance à la séparation des pouvoirs. L’idée même que les hommes naissent libres et égaux en droit et en dignité constitue une révolution. Depuis, la liberté, l’égalité, la dignité sont devenues des attributs associés au concept même de l’homme et font partie aujourd’hui des bases de la culture occidentale.

Une culture ne se définit que par rapport à une autre d’où un potentiel de conflit. Aujourd’hui dans les sociétés dites émancipées, la liberté et les droits de l’homme hérités de Rousseau constituent la base de l’identité culturelle. Mais on constate que c’est au nom de cette liberté que l’on dénie aux autres cette même liberté comment en est-on arrivé à cet extrême ? Sous prétexte de conquérir le monde, on est arrivé à la conquête de l’autre qui a une culture différente. Si on en est là aujourd’hui c’est à cause d’un égocentrisme identitaire qui a régné sur le monde au début du siècle et qui malheureusement resurgit. L’occident a pensé que sa culture était la meilleure, il s’en est suivi une particularisation des individus entraînant elle-même la fétichisation identitaire. C’est au nom de cette dernière que l’on proclame que sa culture est la meilleure et par conséquent, supérieure aux autres. Et dès lors qu’on croit que sa culture est supérieure, la suite logique est le rejet de l’autre ou sa soumission. La colonisation n’avait pas d’autres buts que de soumettre le colonisé et de l’assimiler culturellement. C’est au nom de cette supériorité culturelle que les missionnaires ont pensé apporter la bonne nouvelle à l’Afrique, estimant que les dieux africains étaient sataniques. C’est toujours au nom de cette supériorité que les empires coloniaux ont prôné l’assimilation des pays colonisés. On trouvera aussi la décolonisation qui s’en est suivie comme les conséquences de cette guerre interculturelle entre le colonisé et le colonisant. Lorsque l’autre vous déni votre identité culturelle et tente de vous assimiler, il arrive le moment inévitable où il touche à votre identité axiologique, celle que vous ne pourrez concéder au risque de vous perdre vous même. L’identité axiologique est composée de ces valeurs qui font de nous ce que nous sommes. Hanna Malewska en donne une définition très juste « les valeurs centrales assurent la continuité, car on ne change pas ce qui donne une sens a la vie » construction de l’identité axiologique et négociation avec autrui (page 22). Face à la perte de soi-même, le colonisé réagit et rejette toute assimilation et essaie dans la mesure du possible le retour à l’authenticité. La guinée de Sékou Touré en était un exemple. Ce denier a prôné l’authenticité après avoir arracher l’indépendance au moment où toutes les autres colonies parlaient d’émancipation et d’autodétermination. Mais cette idéologie fut soldée par un échec car le retour à cette authenticité rêvée était un leurre. La guinée assimilée par le colon était déjà acculturée et ne pouvait plus se contenter d’un retour à une culture originale. Aujourd’hui, la guerre d’Irak sous prétexte d’apporter la démocratie au peuple irakien est une émanation directe de l’identité répétitive que les Etats-Unis se sont forgée surtout depuis la chute du mur de Berlin. Seule puissance mondiale après le démantèlement de l’URSS, les États-Unis se retrouve dans un égoïsme culturel où la culture de l’autre est jugée inférieure. Il leur revient donc de propager la démocratie américaine. L’Irak doit être donc de gré ou de force assimiler la démocratie américaine.

On le sait, une culture égocentrique donne naissance à la catégorisation de soi et par conséquent au rejet de l’autre jugé inférieur. Mais cette catégorisation de soi n’a d’autres débouchés que le retour a l’authenticité, qui pousse à vivre dans un passé idyllique. On se reconnaît alors dans les mythes, spécialement ceux qui prônent les valeurs et gloires fanées d’une époque. Cela est très dangereux, car la première conséquence est la recherche de l’autre par qui cette harmonie idyllique du passé a été rompue, celui par la faute duquel il est arrivé que nous nous retrouvons dans la situation présente plutôt que celle passée où nous avions gloire et fortune. Dans le cas du nazisme, l’autre était le juif, en France aujourd’hui, à entendre le Front National, l’autre c’est l’arabe ou le noir, l’immigrant. La deuxième conséquence n’est que la suite logique ; il faut bannir ou même anéantir l’autre pour préserver la pureté de la culture. La notion de la préservation de la pureté de culture n’est que l’aboutissement ou même la finalité d’une culture égocentrique. C’est au nom de cette pureté que les pires crimes d’eugénisme ont été commis.

Une culture n’est pas figée et l’identité se forge par rapport aux situations mais aussi par rapport aux contacts avec d’autres cultures. L’autre est important pour construire mon identité puisque c’est par la rencontre avec lui que la différence naît dans mon esprit. La rencontre avec l’autre nous invite à nous questionner sur ce que nous sommes mais nous révèle aussi qui nous sommes. Jean –René Ladmiral et Edmond Marc Lipiansky dans la communication interculturelle (page 120) nous donne une bonne idée de l’intervention de l’autre dans la formation de notre identité. « L’autre n’existe comme autre qu’en tant que je le nie de moi, de même que je n’existe que nié de lui-même par autrui. Mais en même temps je ne peux saisir mon image que dans le regard d’autrui, regard qui m’appréhende de l’extérieur comme objet et donc me fige et m’aliène. » Reprenant Sartre, ces auteurs étendent cette affirmation à tout le groupe social, « Sartre souligne que ce phénomène vaut pour le groupe comme pour l’individu ; le groupe ne se perçoit pas comme nous que du dehors, dans le regard du tiers et c’est cette aliénation collective qui est assumée dans le nous. » L’individu par rapport à la société dans laquelle il évolue serait donc une monade culturelle au sens leibnizien du terme, c’est-à-dire une entité simple héritier d’une identité sociale qui est le reflet et l’expression de cette société. Cette société peut en retour être considérée comme une monade dans son expression face à d’autres sociétés. Sur l’échelle mondiale, diverses sociétés, donc des monades et sont appelées à interagir. Cette rencontre avec l’autre peut être bénéfique si nous prenons pour exemple le contact avec la Grèce antique et l’Egypte antique. Les savants grecs allaient s’abreuver des sciences, de la philosophie et du spiritualisme dans les écoles égyptiennes. Elle peut être fatale aussi et conduire à l’aliénation d’une culture, c’est le cas des conquêtes coloniaux qui ont détruit la société traditionnelle africaine et asservit l’homme africain au point de trouver en lui les caractéristiques d’un enfant. Cette situation de l’homme africain qui après cette rencontre avec l’occident continue par se chercher une identité est très bien décrite par Aimé Césaire dans Discours sur le colonialisme « je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme » et aussi par Franz Fanon dans Peau noire masque blanc.

Si aujourd’hui après des siècles de cohabitations entre diverses sociétés, on assiste à la montée de l’idéologie nationaliste dans les pays dits développés c’est que ces sociétés dites évoluées, n’ont pas du tout évolué depuis le début du siècle où elles avaient commis leurs folies conquérantes. Elles n’ont pas évolué pour la simple raison que les mêmes causes produisant les mêmes effets, elles n’ont pas compris qu’il n’y a dans l’absolu une culture meilleure qu’une autre, une identité meilleure qu’une autre et dénier l’autre de son identité c’est donc lui nié de son humanité. Cette montée du nationalisme s’est produite par le passé avec Hitler dans l’Allemagne nazi et a eu pour conséquences la deuxième guerre mondiale. On aurait donc pu croire que les politiques ont compris qu’il fallait repenser le nationalisme dans ces causes, le contrer et le bannir. Au XXIe siècle, force est de constater que chaque pays européen a son parti extrémiste qui prône une idéologie de haine envers les immigrés. Pourtant, Hanna Arendt au sujet de l’idéologie nous dit dans Les origines du totalitarisme (page 296) qu’ »une idéologie est littéralement ce que son nom indique : elle est la logique d’une idée : son objet est l’histoire, …. Les idéologies ne s’intéressent jamais au miracle de l’être. Elles sont historiques, concernées par le devenir et le disparaître, l’ascension et la chute des cultures, même si elles essaient d’expliquer l’histoire par quelque loi naturelle…. L’idée d’une idéologie n’est ni l’essence éternelle de Platon, saisie par les yeux de l’esprit ni le principe régulateur de la raison de Kant : elle est devenue un instrument d’explication« . Un instrument d’explication d’une misère collective due dans la majorité des cas à l’incapacité des politiques à assurer le développement harmonieux de la cité et à l’ignorance. On accuse l’autre, l’immigrant, d’être la raison de l’insuccès collectif, d’être à l’origine de tout ce qui ne va pas dans la cité. Il devient la racine de tous les mots. D’où la naissance des stéréotypes basés sur l’intolérance et alimentés justement par l’idéologie nationaliste : le noir est paresseux, menteur, voleur c’est l’indigène, l’ancien esclave ; l’Arabe pue, il est vindicatif et fougueux, c’est le musulman intégriste, le terroriste. Ces stéréotypes se nourrissent de l’idéologie pour finalement aboutir à l’exclusion de l’autre de toutes les sphères de la société. Et pendant que l’aryen, le cultivé, celui de l’identité pure, de la culture pure, se targue de sa culture unique et sans égal, l’exclu, le noir, l’Arabe, le marginalisé face au mur prépare sa revanche. Ce dernier se replie sur lui-même et vie en marge de la culture dite supérieure. Il décide aussi de ne pas reconnaître l’autre, de ne pas s’intégrer. Chaque contact entre l’aryen supérieur et l’immigrant inférieur se solde inévitablement par un conflit dans ces conditions. La non-reconnaissance de l’identité de l’autre doublée par une idéologie de catégorisation entraîne inévitablement des rivalités. Comment expliquer le fait que chaque 14 juillet fête nationale de la France qui devrait être une journée de joie et de célébration pour tous les Français, les jeunes de banlieues pourtant français, nés en France et n’ayant connu d’autres cieux, manifestent leur exclusion en incendiant des centaines voire des milliers de voitures dans toute la France ?

Le monde aujourd’hui ressemble à un gros village et il est impossible à une société de nos jours de vivre en autarcie. Inévitablement il y aura plus de contact avec l’autre donc plus de conflit à moins que nous trouvions des solutions pour le vivre en commun malgré les différences. A cet égard l’éthique de la discussion Habermassienne est un début de solution même si elle peut conduire à l’imposition d’une vision du monde par ceux qui maîtrise la langue et l’argumentation. En effet, Habermas base sa théorie sur l’argumentation, tout différent doit être soumis aux différents acteurs qui argumentent leur point de vue et de cette argumentation va jaillir la vérité. Ce qui est tout du moins intéressant ici, c’est qu’a priori, il n’y a pas de rejet de l’autre. L’autre est invité au débat et dispose de la même liberté pour faire valoir ses arguments. Cette invitation est donc la reconnaissance de l’identité de l’autre et de son appartenance à la cité. Cependant, en voulant être pragmatique, Habermas n’a pas tenu compte des difficultés dues au fait qu’il puisse avoir dans une discussion plusieurs niveaux de langage et d’interprétation sur les valeurs qui empêchent tout consensus. C’est ce que Paul Ricœur appelle «conflit des interprétations». Ce handicap pèse lourd dans la théorie d’Habermas parce qu’il faut pour argumenter sur une valeur que tous les acteurs l’acceptent d’abord comme étant une valeur et ce n’est pas toujours le cas.

Dans ce conflit de valeurs et de leurs interprétations qui inévitablement existent avec l’éthique d’Habermas, Kwame Appiah propose pour le bien vivre en commun le cosmopolitisme. Un mélange d’identités et de sentiments d’être citoyen du monde au-delà des nations, sans être rivé à l’une d’elles. Il reconnaît quand même trois conflits de valeurs qui sont inhérents au cosmopolitisme « Nous avons identifié trois types de conflits de valeurs : dans certains cas, nous ne partageons pas le même vocabulaire des valeurs ; dans d’autres nous donnons à un même vocabulaire différentes interprétations ; enfin, nous pouvons donner à des valeurs identiques un poids différent«  extrait du livre pour un nouveau cosmopolitisme page 110. Une manière de voir qui combat le nationalisme qui comme nous l’avons dit plus tôt entraîne le fétichisme identitaire et par conséquent le refus de l’acceptation de l’autre. Le cosmopolite pense en effet que l’idéologie nationaliste devrait être dépassée. Comme le dit Ulrich Beck dans l’introduction de son livre Qu’est ce que le cosmopolitisme ? page10 « aujourd’hui ce qu’il faut comprendre, c’est que la réalité elle-même est devenue cosmopolitique » Pour nous, le cosmopolitisme constitue une voie dans le bon sens car elle prône une tolérance qui ne peut être ignorée dans le monde d’aujourd’hui. Cette acceptation de toutes les cultures dans le cosmopolitisme vient du fait que chaque individu est un citoyen du monde et non plus un membre d’une tribu d’un clan ou d’une nation. Mais même si la réalité est cosmopolitique dans le monde d’aujourd’hui, les politiques demeurent nationalistes.

Il faut faire la différence entre le cosmopolitisme et le métissage culturel qui est un mélange de plusieurs cultures, ou même de l’interculturalisme qui recherche un rapport harmonieux entre différentes cultures même si elle prétend aboutir à une intégration. Elle ne veut pas abolir les différences, mais recherche des moyens pour forger une identité commune. L’interculturalisme n’est pas selon nous la voie, car l’intégration qui constitue son ultime but n’est rien d’autre que l’adoption de la culture dominante. Et très souvent il aboutit à l’intolérance de l’autre. Au Québec on assiste depuis quelque temps à l’accroissement des pensées interculturalistes en marge même du multiculturalisme canadien. Ceci est dangereux car l’adoption de la culture dominante n’est rien d’autre qu’une assimilation culturelle. Remarquons ici que l’intégration est non plus simplement souhaitée ou encouragée, mais elle fait partie partie d’un ensemble d’objectifs politiques. Naturellement il y a une convergence des actions en vue de la réalisation de cette intégration, puis aussi la recherche d’une homogénéité sur le plan culturelle. Ce qui est inquiétant ici c’est la prise en main de cette interculturalité par les politiciens. Evidement on ne peut à proprement parler de soumettre l’autre à culture dominante, mais, la ligne est vite franchie puisque tout réside désormais dans les moyens politiques mis en place pour faire intégrer l’immigrant. L’inquiétude ici il faut bien le dire, est que l’intégration ne devienne trop structurée, trop encadrée par des politiques sociales pour laisser une place au rythme individuel. Si le temps joue en faveur de l’intégration d’une personne issue d’une autre culture, nous craignons qu’avec ce phénomène d’interculturalisme, le politique ne pousse le migrant à s’adapter très vite à la culture dominante ce qui créera l’effet inverse c’est à dire un repli de l’autre dans ce que l’on appelle les ghettos ethniques. L’exemple de Montréal- nord où les immigrants se regroupent pour se conforter dans l’idée qu’ils sont exclus de l’identité sociétale constitue un prélude à cette situation. Même si le rapport de Philippe Apparicio et Anne-Marie Seguin (« Retour sur les notions de ségrégation et de ghetto ethniques et examen des cas de Montréal, Toronto et Vancouver « ) affirme qu’il n’y a pas de ghetto ethnique à Montréal, le fait même qu’ils reconnaissent l’existence d’enclave ethnique comme ils le disent, devrait sonner l’alarme car ces enclaves ne peuvent évoluer que naturellement vers des ghettos. Et c’est dans ces ghettos naît et se fermente le sentiment d’exclusion pour finalement aboutir au rejet de la culture d’accueil.

Il revient ici de dire que le système de préférence dans ce monde cosmopolite est le multiculturalisme. Tel que décrit par Charles Taylor, le multiculturalisme est la coexistence pacifique de plusieurs cultures dans un groupe social donné. Ici il y a l’autre qui est accepté dans toute sa plénitude. Bernard Gagnon, dans la philosophie morale et politique de Charles Taylor page 281, nous donne une explication très précise. « Par exemple, la culture me donne une forme d’accès à l’autre, car elle est son mode d’expression. Ne pas reconnaître cette culture consiste à ne pas reconnaître l’autre dans sa spécificité. Mais, de même, cette culture doit être suffisamment «ouverte» et démocratique pour permettre à chaque subjectivité l’expression de sa différence. » À côté d’un cosmopolitisme très large et difficile à réaliser, le multiculturalisme permet donc à toute identité de se réaliser à l’intérieur d’une société, pour peu que cette identité ait pour base une culture qui tienne compte la dignité humaine, la liberté et la démocratie. Dans cet ordre idée, le multiculturalisme tient pour acquis qu’une culture n’est pas figée dans l’histoire et qu’elle évolue avec la rencontre d’autres cultures. La première conséquence est que du multiculturalisme se découle naturellement l’acceptation de l’autre puisque l’élément coercitif qui emmène à l’assimilation est aboli. Notre perception de l’autre mais aussi du monde se modifie par notre frottement à l’autre, tout naturellement nous en venons à adopter chez lui ce que nous estimons meilleur dans sa culture tout en lui offrant ce qu’il trouve meilleur dans la nôtre. En cela le Canada en est un exemple puisque la charte des droits et des libertés prône le multiculturalisme. Les valeurs sont suscitées et non imposées. On en vient à former un mélange qui même s’il apparaît hétéroclite n’en est pas vraiment un. Au-delà de ce mélange de plusieurs identités se dégage une certaine homogénéité qui constitue la base de ce qu’est l’identité collective canadienne. Cette base est constituée de valeurs comme la liberté, l’égalité, la dignité humaine, la démocratie, bref, tout ce qui constitue l’essence de l’épanouissement humain. La deuxième conséquence est que c’est l’individu, l’autre, l’immigrant, qui intègre volontairement la culture d’accueil. Il trouve avec le temps dans cette nouvelle culture des valeurs qu’il comprend et qu’il sent comme faisant partie de sa nouvelle identité. Ce qui est important ici c’est l’élément volitionnel, l’immigrant en effet a conscience de ce qu’il est devenu et surtout de la nécessité pour lui se suivre une métamorphose afin de s’épanouir dans sa société d’accueil. Ce changement se fait en toute conscience et sans contrainte extérieure, même si on peut prétendre qu’au départ, elle peut être souhaité par la société d’accueil.

Nous l’avons dit, une société évolue et se modifie à la rencontre d’autres sociétés. La culture mode d’expression de la société, évolue aussi, dans ce monde où nous réduisons l’espace par la technologie, il est certain que plusieurs sociétés sont appelées à interagir. Il est sûr et ne nous leurrons pas, que de cette interaction naîtra de plus en plus des conflits. Trouver un système de vivre en commun qui garantisse à chaque individu sont identité elle-même fluctuante et son épanouissement devient un défi. Parmi les modèles de sociétés, nous pensons que le cosmopolitisme apporte la solution idéale. Cependant, par réalisme nous devons accepter que le cosmopolitisme ne soit possible que par la volonté des politiques sur une échelle planétaire. Les hommes d’état du monde entier devraient se débarrasser ou du moins accorder une importance moindre à toute idéologie nationaliste pour que le cosmopolitisme fleurisse. Le triomphe du cosmopolitisme passe nécessairement par le déclin du nationalisme. Ceci semble irréalisable aujourd’hui. Un risque trop grand pour les politiques à assumer comme le regrette Ulrich Beck. C’est donc à défaut d’un cosmopolitisme que nous adoptons le multiculturalisme comme l’expression du vivre ensemble par excellence.

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