L’éthique appliquée de Georges Legault et l’éthos contemporain

L’éthique appliquée est née de la faillite de l’idée que l’on avait du fait que la raison pouvait à elle seule guiderait la bonne conduite de l’homme. C’est dans cette logique que le droit positif s’inscrit dans sa tentative d’encadrer les comportements. Or nous dit George Légault, ni la raison, ni le droit, ni même les sanctions qui s’y rattachent  n’ont pas pu empêcher l’homme de connaître les dérives des guerres, de la technoscience et des conflits de société. Pour lui, les raisons de l’éthique appliquée et de son développement sont à trouver dans l’inefficacité du droit positif. Le monde contemporain est caractérisé par la séparation du droit et de la morale, qui deviennent en même temps deux modes privilégiés de régulation de comportements. Alors se posent les questions de savoir pourquoi obéir à la morale ? et pourquoi respecter le droit ? cette loi est-elle juste dans cette situation ? Paradoxalement le respect du droit revient à la conscience morale de l’individu. En clair, on nous demande d’être des personnes dotées d’un certain sens  de valeur afin de respecter le droit ; mais entre temps la morale dont la source principale n’est autre que le divin perd de sa valeur puisque l’existentialisme est venue contester l’existence même du Dieu, le père fouettard, qui par la crainte de sa colère nous obligeait à être vertueux. Légault voit alors dans l’éthique appliquée un exercice permettant de trouver le juste ou la meilleure finalité dans une situation conflictuelle quitte à aller  défier le droit et même la morale.

Légault propose donc une éthique appliquée qui se veut une philosophie pratique et  qui trouve ces sources dans la philosophie contemporaine. C’est une éthique pragmatique dans laquelle, la quête du juste situationnel est rendue nécessaire par le langage et le partage mutuel des expériences de tous les acteurs. Chacun argumente en vue de trouver un consensus sur la meilleure finalité de la situation, ici la vérité absolue n’existe pas mais la vérité qui fait du sens. Comme il le dit si bien « … l’éthique appliquée se présente comme un dépassement nécessaire des insuffisances du discours de la métaéthique dans le domaine moral et invite à repenser la nature même du discours philosophique afin qu’il soit utile dans la vie sociale » Georges Légault, Ethique appliquée éthique engagée page 30. Dans ce pragmatisme, où le langage joue un rôle important, l’auteur nous apprend qu’il permet aux acteurs  de se rencontrer et de mener une réflexion dans laquelle chacun propose. Loin d’une éthique de la discussion, comme celle d’Habermas, le dialogue fait appel ici à la coopération, « mais les conditions d’effectuation du dialogue exigent des participants d’entrer dans un processus de coopération. La participation au dialogue implique ainsi un retour sur soi (transparence), un souci de l’autre et une maîtrise de soi dans l’usage de la parole (autorégulation) ». Georges Légault, éthique appliquée, éthique engagée page 37. S’il est vrai que l’éthique appliquée de Légault se base sur le pragmatisme et le langage pour se concevoir, elle est avant tout une recherche sur les valeurs suffisantes dans  la justification d’une action dans un cadre concret et circonscrit. En cela elle n’a qu’un potentiel d’universalité quand l’éthique (principalement celle de la discussion d’Habermas) parle d’universalisation. Elle est plus portée par la raison pratique et tente à justifier les raisons d’une action rendue nécessaire dans un contexte donné et elle reconnaît que sa finalité n’est pas de trouver une solution dogmatique et intangible. C’est ce qu’il affirme en disant que «La distinction entre éthique fondamentale et l’éthique appliquée (…) la philosophie pratique ne prétend jamais atteindre des fondements absolus mais uniquement des fondements suffisants à une décision pratique » (George Légault Professionnalisme et délibération éthique page 235). Dans tous les cas la question de la liberté est très importante pour l’auteur car elle permet au sujet de penser la question éthique tant sur sa finalité que sur les moyens à entreprendre pour cette meilleure finalité dans un cadre non dogmatique. Il faut donc comprendre que cette liberté a deux pôles, une liberté que le sujet se donne pour penser en dehors de ses préjugés et dogmes propres mais aussi un cadre de liberté qui l’empêche de suivre, de se conformer ou mieux de s’adapter à la position du puissant du jour. En quoi correspond-elle donc à l’éthos contemporain ?

Pour voir ce lien il est important de retourner à sa genèse ; en effet l’éthique appliquée est née des coups portés des bouleversements sociaux et le progrès de la technoscience à la morale traditionnelle. Cette nouvelle forme d’éthique  s’inscrit donc dans la pensée postmoderniste qui s’affiche par sa pluralité de valeurs et son individualisme. Guy Giroux  illustre bien ce chaos promoteur de l’éthique appliquée  par le néolibéralisme caractéristique de la pensée contemporaine. En effet, les crises économiques et la faillite de l’état-providence ont montré que le rôle de législateur tous azimuts  de l’état n’arrive plus à encadrer l’agir. Au lieu de voir le droit, seule forme d’hétérorégulation  encore acceptable puisque la morale et les mœurs ont été soumis à la raison, sombrer dans le néant et laisser place à l’anarchie, il faut repenser une forme d’éthique autorégulatrice dont la mission serait d’ « équilibrer ou compléter la régulation que le droit ne parviendrait pas à établir par lui seul ». (Guy Giroux : les besoins auxquels obéit la demande d’éthique dans la société page 77.) L’éthique appliquée est une éthique qui se vit au quotidien et qui est liée à la pensée contemporaine. Intimement liée à l’habitat ou éthos, l’éthique appliquée par sa raison pratique et situationnelle devient le reflet de cet éthos qui est le réceptacle des traditions, des mœurs et de la morale contemporaine mais qui en est en même temps la source. Il ne peut en être autrement puisque c’est l’habitat qui fournit à l’éthique appliquée les bases de sa rationalité pratique dans une situation décisionnelle, mais en retour cette dernière (l’éthique appliquée) établie une solution pratique à un conflit sociétal qui n’est pas universel mais potentiellement universalisable. C’est donc une véritable correspondance qui s’établit entre l’ethos contemporain et le modèle d’éthique appliquée proposée par George Légault

Par cette relation, nous dirons que l’éthique appliquée s’affiche aujourd’hui comme le tremplin de la responsabilisation d’une société. L’éthique comme discours sur les valeurs dépouillée d’une capacité régulatoire, n’est rien d’autre qu’une réflexion. En revanche faire d’elle un mode d’autorégulation c’est lui donner  une vie dans la société d’où sa nécessité. Ainsi le modèle d’éthique appliquée proposée par Légault prend sa source dans l’habitat s’en nourrit  et se réalise en lui.

A propos Bonaventure

Éthique Droit Aide humanitaire Philosophie morale
Cet article, publié dans Éthique, est tagué , , , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.

Laisser un commentaire