Peter Singer et l’éthique des non humains

Peter Singer étend l’égalité de tous les êtres humains sur les êtres non humains, entendons par là les animaux. Ce principe d’égalité est basé sur une égale considération des intérêts peu importe l’espèce, pourvu qu’elle soit dotée d’une certaine conscience de son état de souffrance ou de plaisir. Pour l’auteur, « ce principe de l’égale considération implique que le souci d’autrui ne devait dépendre, ni de son apparence, ni de ses aptitudes », il faut remarquer ici qu’autrui ne se réfère pas seulement à l’humain. L’égale considération couvre tous les êtres vivants qu’ils soient de notre espèce ou non, de notre race ou d’une autre. Cette nouvelle considération de l’auteur est grave de conséquence puisque la communauté éthique si on peut l’appeler ainsi est maintenant élargie au point de regrouper les animaux. En effet, depuis l’Antiquité l’homme s’est réservé le droit de donner un cadre à ceux dont les intérêts devraient être considérés. Ce cadre n’est autre que le cadre des humains, la cruauté sur des animaux étant plus ou moins proscrite mais non pas parce qu’on tenait compte de leur intérêt mais pour des raisons religieuses, ou d’irresponsabilités pour le devenir humain.

Dans cette considération des intérêts, l’auteur fait de la douleur un élément crucial d’évaluation, « si un être souffre, refuser de prendre cette souffrance en considération n’est pas justifié moralement ». Mais en même temps, il reconnaît aussi que tous les êtres n’ont pas la même perception de la douleur et que la conscience humaine prédispose l’humain dans certains cas à une douleur plus vive. L’inverse aussi est possible. Le manque de conscience et d’intelligence chez les animaux accroît leur douleur puisque pris dans certaines conditions, ils sont incapables d’évaluer leur situation. Le comment bien vivre que ce donne pour objet l’éthique est une perception humaine de la vie; inclure les animaux dans le débat éthique ouvre la porte à un antagonisme d’intérêts. L’homme a besoin des animaux pour vivre bien, soit en les consommant, soit en les utilisant pour la recherche ou simplement comme animaux de compagnie. L’auteur ici ne rejette pas cet aspect de la nécessité pour l’homme de vivre sa vie aux dépens des animaux, son inquiétude se trouve plutôt sur leur bien être, « il est important de se souvenir que le but de mon argumentation est d’élever le statut des animaux, non d’abaisser celui des humains ». Prenant le contre-pied de plusieurs thèses qui dénient les animaux de conscience d’autonomie, d’intelligence ou autres attributs, il les compare à des handicapés ou bébés humains afin de montrer que toute souffrance infligée à un animal est aussi comparable à celle d’un bébé ou d’un handicapé mental. Cette comparaison ne reflète que sa position initiale utilitariste qu’il emprunte à Jeremy Bentham : « la question n’est pas : peuvent-ils raisonner ? ni non plus peuvent-ils parler ? mais peuvent-ils souffrir »

Il paraît désormais clair que ce que veut Singer ce n’est pas l’élévation des animaux au rang humain, il désire un meilleur traitement du genre animal et loue les efforts dans ce sens par certains gouvernements comme la Suisse, la Suède, la Grande-Bretagne. Il estime que nous devons prendre en compte de deux choses dans nos rapports avec des êtres non humains: notre intérêt et la souffrance de l’autre. Il s’agit pour lui d’agir responsablement face à la douleur de l’autre, l’autre pouvant aussi être le non humain. Ainsi, on peut pratiquer des expériences sur des animaux à condition que le bienfait tiré de ces expériences en justifie la nécessité. « S’il fallait qu’un animal ou une douzaine d’animaux souffrent pour sauver des milliers de personnes, je penserais que cela est juste et conforme à l’égale considération des intérêts ». Au-delà donc de l’utilitarisme classique, ce que Singer fait est d’étendre le contexte des intérêts sur tout ce qui vit et sur toutes les espèces
Il démontre en effet, qu’on ne peut trouver une différence sans équivoque entre les humains et les non humains. Il admet que les animaux ne peuvent pas réfléchir éthiquement sur leur conduite. Il faut que nous abandonnions l’aspect contractuel de l’éthique qui sous-entend, « je me retiens d’agir méchamment envers les autres aussi longtemps qu’ils n’agissent pas méchamment envers moi », afin de redéfinir quels sont les êtres susceptibles d’intégrer ce que nous appelons notre communauté éthique en s’appuyant sur la souffrance comme élément de base dans la recherche des intérêts.

L’originalité de l’auteur est l’élargissement du champ de l’éthique afin d’inclure les animaux, et ce, sous l’angle d’un utilitarisme nouveau. Ce faisant, et en bon utilitariste, il ne se soucie pas de l’acte (maltraitance et tuerie d’animaux) ce qu’il rejette ce sont les conséquences disproportionnées de ses actes (la souffrance des animaux de laboratoire ou la souffrance des animaux d’abattoir). Nous ne voulons pas dire ici que l’auteur cautionne la maltraitance ni la tuerie des animaux, ce que nous voulons dire c’est que cette maltraitance et cette tuerie d’animaux sont justifiables éthiquement s’il est démontré que nous n’avons pas sacrifié d’importants intérêts de ces animaux pour assouvir nos intérêts pourtant moindres. Aussi se pose la question de savoir si le sacrifice d’un seul animal est justifié?…. et si ce seul était un humain ? En clair ce qu’il déplore c’est que les animaux souffrent inutilement. C’est une approche conséquentialiste qui interpelle l’humain sur ses agissements. Il faut revoir la nécessité de nos actions envers les non humains, le simple fait qu’ils ne sont pas de notre espèce n’est plus suffisant pour ne pas tenir compte de leur intérêt.

L’auteur nous a convaincu qu’il n’est plus moralement acceptable de détruire la vie des animaux ou de les faire souffrir sans raison valable, mais nous ne voyons pas en quoi cela contribuerait à notre plus grand bonheur à moins d’adopter un hédonisme négatif comme il semble le suggérer. Nous ne voulons pas insinuer ici que nous sommes insensibles aux souffrances des animaux, ce que nous voulons dire est que c’est nous en tant qu’humain qui jugeons de l’intérêt, de la nécessite et du degré de la violence envers les animaux. À ce titre il nous revient toujours le dernier mot puisque les animaux ne peuvent ni communiquer avec nous ni nous faire part de leur intérêt dans une situation précise. Par exemple c’est nous qui jugeons qu’il faut faire cette expérience avec 100 souris au lieu de 2000 souris ; c’est encore nous qui jugeons que cette expérience sur le diabète est plus importante que celle qui est sur le cancer ou encore; de notre nécessité de manger du foie gras, donc gaver tel nombre de canards. Tenir compte de la souffrance de ces non humains devient un vœu pieux, puisqu’en tant humain, nos raisonnements diffèrent, et ce qui important pour Pierre ne l’est certainement pas pour Paul. Il faut aussi voir que c’est nous qui évaluons la douleur d’autrui, et s’il est relativement plus facile d’évaluer la douleur d’animal supérieur, il devient très difficile d’évaluer cette douleur chez les insectes. Comment ressentir la douleur de ces mouches enfermées dans un bocal de laboratoire ? d’un microbe en présence d’un antibiotique ? un crabe qu’on essaie d’attraper et qui préfère rendre une patte afin de fuir souffre t-il? De plus de récentes expériences montrent que les plantes ont une certaine conscience de leur environnement et qu’une plante qu’on insulte se développe moins bien que celle à laquelle on dit de bonnes paroles. devrons- nous aussi inclure les plantes dans notre communauté éthique ? Qu’adviendrait-il si un jour la science démontre que pierre, air et eau souffrent ? la communauté éthique ne doit plus s’arrêter aux humains et aux non humains mais élargit aux vivants et aux non vivants. Le mérite de l’auteur est de sensibiliser les hommes à la douleur des animaux, cependant sa théorie initiale à savoir que « le principe fondamental sur lequel repose l’égalité de tous êtres est celui de l’égale considération des intérêts » n’est pas convaincante puisqu’il nous revient toujours de déterminer ses intérêts.

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